2,6 milliards de dollars par an. Voilà l’étendue des revenus générés chaque année par les sites d’infox, grâce aux recettes publicitaires selon un rapport Newsguard et Comscore. Le financement principal de l’industrie de la désinformation se fonde donc en grande partie sur la publicité. Un procédé tout à fait légal qui ouvre les portes d’un marché colossal avec à la clé des revenus importants. Dans le magazine Complément d’enquête (France 2, le 02/09/2021), intitulé « Fake News, la machine à fric », Laurent Nicolas, expert en publicité digitale, calcule que le site américain d’infox Gateway Pundit engrange chaque mois 200 000 euros de recettes publicitaires, grâce à ses 50 millions de pages vues.
Ce rendement lucratif attire aujourd’hui de nouveaux acteurs de la désinformation, comme par exemple, les fermes à clics. Installées dans des pays comme la Macédoine, le Kosovo, la Birmanie ou encore le Cambodge, elles produisent et diffusent massivement des articles plagiés et des infox dans le but de générer encore plus de profits. Leur façon de procéder est très simple : le même article est publié sur de nombreuses pages sur les réseaux sociaux afin de maximiser les clics et donc les revenus publicitaires.
Écarter les sites douteux des campagnes en ligne est complexe pour les régies et les agences publicitaires. S’il existe déjà des outils permettant d’empêcher les campagnes de figurer sur des sites affichant du contenu pornographique ou violent, ceux-ci sont inopérants contre la désinformation car elle peut prendre de nombreuses formes. De plus, en ligne, les marques souhaitent toucher une population bien précise (âge, sexe, lieu de résidence, loisirs, etc.). On parle alors de publicité programmatique. Ce service est proposé par les régies publicitaires, comme Google Ads, qui savent précisément où navigue cette population ciblée. Si cette dernière fréquente des sites de désinformation, c’est alors là que la publicité sera affichée, et ce, sans contrôle des marques.
Autre source importante de revenus pour les créateurs d’infox : le don. Le financement participatif permet à de nombreuses productions dont le contenu est trompeur ou manipulé de voir le jour. C’est le cas notamment de Hold Up, un film documentaire sur la pandémie de covid-19, qui mélange faits avérés et contre-vérités. Publié fin 2020 et visionné des millions de fois sur internet, il a bénéficié d’une levée de 300 000 euros grâce au soutien de plus de 10 000 personnes. Ces dons permettent aussi le financement de sites bannis du marché de la publicité par Google, pour non-respect de son règlement qui vise à protéger les marques « contre la diffusion de leurs publicités à côté de contenus dangereux et trompeurs ». C’est le cas par exemple du site controversé FranceSoir. La responsabilité des plateformes qui permettent l’émergence de ces cagnottes de financement participatif est questionnée. Mais certaines, comme Tippee, jouent la carte de la liberté d’expression.
Ces deux systèmes de financement parallèles permettent à l’industrie de la désinformation de générer de forts revenus. Fondé sur le laisser-faire des agences de publicité et de certaines plateformes de financement participatif, le modèle économique des sites de désinformation ne semble pas en péril. Seuls l’utilisation d’outils informatiques et juridiques plus efficaces pour empêcher les campagnes publicitaires d’enrichir les pages des sites de désinformation et le renforcement des dispositifs d’EMI pourraient fragiliser cette industrie lucrative.
Valériane Gouban, formatrice au CLEMI
FAVRE, Aude. LOUVET, Sylvain. « Fake news, la machine à fric ». Complément d’enquête, 02/09/2021.
« L’ère de la désinformation ». Hors-série n°63, Courrier International, 17/10/2017