Les théories du complot concernant la conquête de l'espace ne datent pas d'aujourd'hui. Elles sont apparues dès les années soixante, quand les puissances engagées dans cette aventure (l'URSS et les États-Unis) déclenchent une guerre des images empreinte de propagande. Des complotistes développent dès lors une culture du doute et remettent en cause certains faits : la terre ne serait pas ronde (théorie platiste), l'homme n'aurait jamais marché sur la lune et la station spatiale internationale n'existerait pas !
Fiche ressources, parue dans le Dossier de la Semaine de la presse, 2018
L’Allemand Robert Jahns, artiste spécialisé dans le traitement digital de photographies, créateur d’œuvres hyperréalistes, a publié cette image sous le titre «Happy Earth Day» pour la première fois en 2015 sur son compte Instagram, parmi d’autres productions. Cette image représente un(e) astronaute, lors d’une sortie à l’extérieur de la Station Spatiale Internationale (ISS), présentant en arrière-plan la Terre, et plus précisément un bout de l’Europe (France et Espagne) éclairé. Ce montage, très réaliste, a déjà circulé sur les réseaux sociaux en 2015, et a même été repris par des médias d’information, étant crédité alors en tant que photo de l’ESA (Agence spatiale européenne), et légendé comme représentant Samantha Cristoforetti, une astronaute italienne, ayant séjourné dans la Station Spatiale Internationale de novembre 2014 à juin 2015. Mais l’astronaute italienne Samantha Cristoforetti n’a jamais publié cette photo sur aucun compte, et l’ESA non plus ! En réalité Robert Jahns a créé le photomontage à partir d’une photographie de l’astronaute japonais Aki Hoshide, publiée sur Wikipédia en 2012.
Aki Hoshide (Wikipédia, 2012)
Dans l'objectif d'une opération de maintenance, Thomas Pesquet effectue sa première sortie extra-véhiculaire durant six heures avec l’astronaute américain Shane Kimbrough. Il publie un selfie où la Terre se reflète dans le casque du scaphandre (sans la Terre en arrière-plan).
Cependant, dès le 15 janvier 2017, l’ancienne image de Robert Jahns circule à nouveau sur les réseaux sociaux, avec une légende qui laisse penser qu’il s’agit d’un selfie pris par l’astronaute français. La supercherie sera vite dévoilée et commentée par les internautes.
Le faux selfie : une oeuvre de Robert Jahns
Thomas Pesquet, très actif sur son compte Twitter, publie une photographie : un authentique selfie qu’il a pris de lui-même, avec la Terre en arrière-plan, pour preuve de sa présence dans l’espace, ajoutant un commentaire humoristique en réponse à ceux qui mettent en doute l’existence de la station spatiale et déclarent que les astronautes n’ont jamais quitté la Terre.
Toutefois, cette publication n’a pas mis fin à la diffusion de fakes sur le sujet, puisque dès les heures qui ont suivi, d’autres commentaires et photomontages assez grossiers ont continué de remettre en cause les faits… Le tweet de Thomas Pesquet est «un petit clin d'œil à cette culture du doute», a déclaré Jules Grandsire (responsable de la communication des astronautes européens à l’ESA) mais le cliché lui-même, malgré son authenticité, ne pourra pas stopper l’imagination, le doute ou la mauvaise foi des complotistes.
Le selfie de Thomas Pesquet (cliché authentique bien sûr) : on peut voir en transparence, dans le casque du scaphandre, le visage de Thomas Pesquet. En arrière-plan la Terre est bien plus proche, par rapport à l’arrière-plan du faux selfie, ce qui est bien plus crédible au vu de la distance entre l’ISS et la planète. La lumière est insuffisante et le cadrage est imparfait : on aperçoit une partie de la station à gauche et la courbure de la Terre en arrière-plan est brisée par le casque.
Le faux selfie de Robert Jahns : le reflet sur le casque du scaphandre incite à penser qu’il y a eu utilisation d’un flash comme seule source de lumière pour faire la photo, ce qui est une source lumineuse insuffisante dans l’espace. Un éclairage plus fort est plus crédible, comme les quatre sources de lumière intégrées au casque de Thomas Pesquet, visibles sur le vrai selfie. La lumière est forte et procure un contraste exceptionnel. En arrière-plan la Terre est plus éloignée, et la vue si «idéale» sur la France, sans aucun nuage, et juste dans le bon angle de vue avec un cadrage si parfait, est peu probable lors d’une sortie extra-véhiculaire, qui n’est pas une activité de loisirs touristiques pour les astronautes mais une nécessité logistique hautement technique, peu compatible avec les velléités d’une prise de vue aussi ciblée et esthétique que celle qui nous est présentée ici.
En cycles 3 et 4 : identifier les sources d’informations fiables en matière d’astronomie et sensibiliser les élèves aux différences dans la production d’images avant et depuis l’avènement du Web et des réseaux sociaux.
Au lycée : à partir de l’analyse de films tels qu’Opération Lune et Moonwalkers, faire identifier les procédés visuels et narratifs pour montrer qu’une image n’est pas une preuve suffisante en soi.
À partir de «Gagarine, premier homme dans l’espace» (Mystères d’archives?-?saison?3) et de «Journal d’un cosmonaute», montrer l’enjeu des images truquées, notamment au sein de la guerre d’images de la conquête spatiale.
Isabelle Féroc Dumez, directrice scientifique et pédagogique du CLEMI
Ressources : presse
Ressources : vidéos
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Isabelle Féroc Dumez, directrice scientifique et pédagogique du CLEMI