Le traitement de l’information sous forme de données peut induire des représentations biaisées. À travers l’exemple du traitement médiatique de la crise sanitaire, cette activité interroge la manière de représenter les chiffres et d’induire la lecture des données.
Le philosophe Robert Ennis, reconnu pour ses travaux sur la pensée critique, énonçait, parmi les capacités à penser de manière critique : « poser des questions de clarification », « discuter et agir avec les autres », « prendre une décision en évaluant les options, les risques ». Dans ce cadre, la lecture des données chiffrées participe à l’appréhension de l’information et l’orientation de choix quotidiens, par exemple en détectant si celles-ci sont tronquées (que ce soit pour orienter la réception, ou par erreur involontaire). Graphiques, pourcentages, statistiques, moyennes, choix visuels… En s’appuyant sur les raisonnements mathématiques ou logiques, il est possible de réfléchir à ce que peuvent dire certaines données, ce qu’on peut ou veut leur faire dire, ou les représentations qu’elles pourraient induire.
Il s’agira avec les élèves de montrer comment, en voulant représenter des données, on peut induire une appréciation erronée de celles-ci. On demandera aux élèves de proposer une forme qui leur paraît plus adéquate. Il ne s’agit pas de donner à penser qu’il existe une forme neutre de représentation des données (toute construction scientifique comporte plus ou moins des biais de représentations non conscients, socio-culturels, linguistiques) mais d’avoir un regard plus critique pour améliorer ces choix de représentations.
Avec les élèves, on veillera à ne pas tomber dans le piège d’un doute constant et systématique à l’égard de tout message médiatique: l’objectif est d’apporter de la nuance et de saisir des questions complexes. L’objectif éducatif consiste à discuter du fait que ces représentations biaisées relèvent parfois de l’erreur, d’un biais d’échelle ou d’un angle de traitement non conscient ou désiré. D’où l’importance de savoir accorder sa confiance à bon escient : penser par soi-même sur tous les sujets (et douter de tout) est trop complexe. Comparer, échanger des points de vue, identifier des personnes compétentes ou dignes de confiance sont les gestes essentiels. N’oublions pas que la pensée critique est basée sur des capacités mais aussi des «dispositions» : humilité, honnêteté intellectuelle, ouverture d’esprit, recherche de clarté, etc.
Observer et analyser des représentations graphiques, extraites de médias, sur la crise sanitaire (télécharger les exemples ici).
Constituer 6 groupes et distribuer un exemple de représentation par groupe. Les élèves doivent proposer et écrire un raisonnement sur ce qui pose problème dans la représentation des données. Les questions suivantes (qui peuvent être inscrites au tableau par l’enseignant) permettent de guider le travail des élèves.
a) Que veut montrer cette information chiffrée ?
b) En quoi l’infographie est-elle erronée ?
Exemple 1 : La longueur des barres est en fait liée à la longueur du texte.
Exemple 2 : L’échelle n’est pas respectée, la barre de la France est trop longue.
Exemple 3 : Proportions exagérées. La partie 49% est plus grande que la partie 51%.
Exemple 4 : Un point est mal placé par rapport à l’axe des ordonnées.
Exemple 5 : Les points sont mal placés par rapport aux ordonnées.
Exemple 6 : Certains points inférieurs sont au-dessus d’autres.
c) Quels sont les risques que peut générer une telle présentation des données ? Quelles impressions cette présentation vous donne-t-elle ?
Au tableau, chaque groupe présente le graphique sur lequel il a travaillé en répondant aux questions a, b et c. On insistera sur les représentations qui pourraient être induites par la forme erronée de données présentées (aspect dramatique, impression contraire liée au placement des données).
On pourra donc lister les types d’erreurs trouvées sous forme d’un tableau commun.
- Confusion entre échelle et longueur du texte (ex. 1)
- Échelle non respectée, donnant une trop grande longueur à la barre représentant la France (ex. 2)
- Aire d’un diagramme circulaire non respectée (ex. 3)
- Mauvaise disposition de points par rapport à l’axe des ordonnées (ex. 4, 5, 6)
Demander à chaque groupe de proposer une présentation plus juste des données présentées sur le graphique.
Étude de deux problèmes mathématiques plus complexes, en commun :
Problème 1. LCI. 24h Pujadas / 2 février 2021
On donne l’impression d’une baisse significative des nouveaux cas au Brésil en prenant la valeur journalière la plus forte et en la comparant à une autre date aléatoire. La notion de « moyenne glissante » permet de montrer la fausseté de l’explication : cette moyenne permet de lisser une série de valeurs exprimées en fonction du temps, en éliminant les fluctuations les moins significatives. Par exemple, comparer une moyenne sur une semaine entière est plus significatif que de prendre deux dates au hasard car les variations journalières peuvent être liées à des questions purement techniques (moins de remontées statistiques effectuées le week-end par exemple). Le vulgarisateur Defakator explique clairement comment la calculer (de 15 min’15 à 18’30 dans cette vidéo).
Problème 2. CNEWS / 27 juin 2021
Cet exemple n’est pas à proprement parler de la datavisualisation, mais questionne lui aussi la manière de se représenter les chiffres.
On donne l’impression que le vaccin n’est pas efficace car une part importante des nouveaux cas sont des personnes vaccinées. Or, les deux groupes comparés (vaccinés et non vaccinés) ne sont pas de même taille. À l’époque, la très grande majorité de la population était déjà vaccinée en Israël : plus de 5 millions de personnes (contre 500 000 non vaccinés). Sachant que le vaccin n’est efficace qu’à 90%, il est normal de trouver des personnes vaccinées parmi les nouveaux contaminés. « Le raisonnement, explique Le Monde dans un article consacré à ce chiffre, peut être poussé jusqu’au bout : si 100 % des Israéliens étaient vaccinés, toutes les nouvelles contaminations proviendraient de personnes vaccinées ».
Les groupes reprennent l’un des deux exemples pour produire une représentation plus claire, moins tronquée ou moins ambiguë du phénomène. On pourra utiliser un outil d’infographie tel que Canva ou Piktochart. Ces outils permettent d’insérer des données et de les transformer en graphique. On trouve sur YouTube des tutoriels complets (exemple pour Piktochart en vidéo ici).
Raphaël Heredia, professeur documentaliste
et formateur CLEMI (académie de Besançon)