Pourquoi un média décide-t-il de traiter un sujet ? Selon quels critères un journal choisit-il de mettre en avant un fait d’actualité plutôt qu’un autre ? Et pourquoi le traitement d’un même événement peut-il être différent en fonction du média ? Derrière ces interrogations sur la fabrique de l’info, il s’agit de comprendre la notion de ligne éditoriale.
La ligne éditoriale définit l’identité d’un média et correspond à l’ensemble des choix rédactionnels effectués par les journalistes lors des conférences de rédaction. Elle fixe une ligne directrice et oriente la manière dont sera traitée l’actualité. Car il faut bien distinguer le fait d’actualité (information récente, factuelle, vérifiée, qui intéresse le plus grand nombre) et le traitement éditorial de ce fait d’actualité (un journaliste choisit un angle, c’est-à-dire un aspect particulier d’un sujet d’actualité). En ayant une ligne éditoriale, un média s’assure ainsi de la cohérence des sujets traités, à la fois sur le fond (les différents thèmes abordés) ou sur la forme (tonalité de la publication ou de l’émission).
Chaque média a donc sa propre ligne éditoriale : celle-ci détermine le choix des sujets, les angles choisis, la hiérarchie de l’information, c’est-à-dire la place accordée aux informations jugées les plus importantes.
Une ligne éditoriale se définit par différents critères : la thématique de la publication (revue spécialisée, média généraliste), le public cible (les sujets et le ton du média seront différents en fonction de l’âge par exemple), les orientations idéologiques ou les valeurs défendues par les médias (un média selon son orientation politique ne mettra pas en avant les mêmes thématiques). En fonction de ce critère, l’actualité peut être traitée différemment.
D’autres facteurs peuvent influencer la ligne éditoriale d’un média, comme le format ou la périodicité. Par définition, une chaîne d’info en continu suivra l’actualité à chaud, en flux, quand une publication hebdomadaire ou mensuelle pourra davantage approfondir ou enquêter sur des sujets complexes. Au sein d’un média, le support peut également influer sur la ligne éditoriale : Le Monde (papier/web) et l’application Snapchat du Monde ne mettent pas en avant les mêmes sujets (voir module Déclic’ Critique du CLEMI sur ce thème).
Le modèle économique peut aussi avoir une influence puisqu’un actionnaire d’un média peut infléchir une ligne éditoriale. C’est la raison pour laquelle les journalistes, en cas de rachat de leur média, peuvent en démissionner (tout en ayant des indemnités). Ce dispositif, appelé « clause de cession », évite aux journalistes de rester dans un média dont la ligne éditoriale pourrait être changée par l’actionnaire et ne plus correspondre aux valeurs du journaliste. C’est par exemple ce qui s’est passé lors du rachat du groupe Mondadori (Grazia, Top Santé, Closer) par Reworld Media en octobre 2019 : 58 % des journalistes en CDI (soit 194 personnes) ont fait jouer leur clause de cession. En cause : la réputation de Reworld Media, qui change la nature même des titres rachetés. Dans leurs magazines, il n’y a plus de «rédacteurs en chef», mais des « directeurs de marque » ; les journalistes sont remplacés par des « rédacteurs de contenus », qui publient des articles mais aussi des publireportages. Avec cette nouvelle ligne éditoriale assumée, le magazine devient une marque au service d’annonceurs.
La ligne éditoriale est donc une notion-clé pour comprendre la ligne directrice d’un média. Mais s’il existe des chartes éthiques ou déontologiques pour rappeler les règles journalistiques, il n’existe pas de document écrit indiquant précisément la ligne éditoriale d’un journal. Celle-ci est le résultat de choix quotidiens, effectués par les journalistes et les rédacteurs en chef. Construire et maintenir une ligne éditoriale est donc un processus dynamique, qui fait l’objet de nombreux débats internes au sein de chaque média. Des débats d’autant plus importants que la ligne éditoriale est une sorte de pacte tacite entre les journalistes et leurs lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Si la ligne éditoriale ne correspond plus à son public, un média peut voir son audience diminuer.
Sébastien Rochat, responsable du Pôle studio du CLEMI