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Depuis 2022 ChatGPT a bouleversé l’univers des médias, des rédactions et la société tout entière. L’outil le plus rapidement adopté au monde a inauguré une nouvelle révolution, où chacun devient créateur, enrichi par son assistant IA personnel surpuissant.

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les rédactions n’est pas récente – Heliograf, le système d’écriture automatisée du Washington Post, a été lancé en 2016 –, mais l’arrivée des grands modèles de langages génératifs bouleverse les pratiques professionnelles. Il ne s’agit plus seulement d’automatiser, mais de réinventer la création de contenu. Tandis que l’IA prédictive interprète le monde, l’IA générative l’imagine et en produit des formes inédites, sans en garantir la véracité mais en offrant en réponse aux requêtes des utilisateurs (prompts) ce qui semble le plus plausible, soit le plus probable statistiquement puisque l’IA fonctionne sur la modalité du calcul. La production de contenu évolue, exigeant de nouvelles compétences : comprendre la logique des technologies d’IA, analyser leurs biais et maîtriser leur utilisation pour garantir une qualité éditoriale.

L’IA générative a rapidement démontré son potentiel, suscitant en parallèle une crainte amplifiée par des représentations dystopiques. Dans un monde où désormais le contenu synthétique prolifère, avec plus de 34 millions d’images artificielles produites chaque jour, il est impératif de repenser notre approche du journalisme face à une IA qui transforme l’ensemble de la chaîne de valeur des médias, aussi bien dans l’analyse (classification, évaluation, extraction de données, réécriture, synthèse) que dans la création (idéation, personnalisation, traduction, conversion).

La désinformation devient alors une menace centrale, accentuée par les manipulations que permet de générer l’IA, comme les deepfakes politiques ou les fraudes financières. La capacité à simuler une réalité parallèle ne fait qu’accentuer un contexte déjà marqué par l’opposition entre faits et opinions, particulièrement présente sur les réseaux sociaux. De nouveaux standards de qualité comme le label C2PA assurent la provenance et l’authenticité du contenu. Mais il n’existe pas de solution miracle pour détecter les fausses informations ; la lutte contre la désinformation est efficace lorsqu’elle est collective (à l’aide de plateformes comme vera.ai par exemple) et repose encore sur l’expertise humaine.

Machines formidables pour fabriquer du faux, mais aussi outils extraordinaires de création, les IA créent déjà de la valeur. Assistants de rédaction et de SEO (optimisation pour les moteurs de recherche), dispositifs de transcription et traduction sont largement adoptés, y compris dans les petites rédactions. La « machine à chronologies » de la radio danoise DR, capable d’analyser des milliers de pages de documents, rend possible des enquêtes de grande envergure pour tous. L’« assistant jeunesse » du journal suédois Aftonbladet génère des encadrés informatifs à destination de la génération Z. Le média Sermitsiaq a conçu un outil de traduction pour la langue groenlandaise ; Zamaneh, média iranien en exil, a recours à l’IA pour automatiser la création de résumés en anglais à partir d’articles en persan ; enfin, Rappler, dirigé par la lauréate du prix Nobel de la paix Maria Ressa, se sert de l’IA pour lutter contre la désinformation aux Philippines.

L’hyperpersonnalisation des contenus générés, à l’instar de la fonctionnalité « Imagined for You » de Meta, accentue encore le besoin de vigilance du public. Les utilisateurs reçoivent des flux d’images ou de vidéos générées par IA, ajustées à leurs préférences, via des moteurs de recherche qui deviennent des moteurs de réponse. Mais dans un monde où chacun peut tout faire, où les formats se mélangent – de l’article à la vidéo, en passant par le podcast – la frontière entre information et divertissement tend à s’effacer. Les rédactions doivent concilier la nécessité de rendre l’information accessible, tout en préservant leur indépendance face aux géants de la tech, qui dominent ce monde des IA génératives.

À l’avenir, l’intelligence artificielle personnelle, devenue un supercalculateur de poche, posera des défis éthiques, économiques et écologiques majeurs. Mais au-delà de ces questions, la mission du journalisme demeure : être un des gardiens de la vérité (au même titre que les scientifiques dans leur domaine). Plus que jamais, l’humain doit poser les bonnes questions, être à l’écoute, choisir les angles pertinents et vérifier la réalité dans un monde façonné par des algorithmes.

Kati Bremme, directrice de l’innovation et de la prospective, rédactrice en chef Méta-Media à France Télévisions

Ressources complémentaires :

« L’info bousculée par l’intelligence artificielle », Isabelle Féroc Dumez, in Les Essentiels éducation aux médias et à l’information 2024-2025.

« Comprendre les principes de base de l’intelligence artificielle (IA) », Laurence Devillers, in Dossier pédagogique de la SPME 2024.

Méta-Media, no 22 : « MédIAs. Nouvelle génération », printemps-été 2023.

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