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L’offensive russe en Ukraine a été marquée dans les médias par une montée en puissance des techniques dites « OSINT » (Open source intelligence), fondées sur l’investigation à partir de sources publiques en ligne. Le cas du centre commercial de Krementchouk, détruit le 27 juin 2022, permet de comprendre comment ces ressources sont utilisées pour vérifier les déclarations des belligérants.

Lorsque, le 24 février 2022, la Russie lance son offensive contre l’Ukraine, certains journalistes ne quittent pas l’écran de leur ordinateur pour couvrir le conflit. Pour ces adeptes de l’OSINT (Open source intelligence), ou en français Renseignement d’origine sources ouvertes (ROSO), il s’agit de puiser dans toutes les données publiques disponibles en ligne (posts de réseaux sociaux, bases de données, retransmissions, articles, images de webcam…), et les outils à disposition (images satellites, archivage, Google Street View…) pour suivre l’avancée des troupes et vérifier les informations provenant des deux camps.

Sur les réseaux sociaux et notamment sur TikTok, cela faisait déjà plusieurs semaines que déferlaient des vidéos montrant de nombreux mouvements de troupes russes aux frontières de l’Ukraine. Des vidéos prises par de simples internautes, qu’il faut ensuite vérifier, contextualiser et géolocaliser. C’est à cela que s’emploient les investigateurs en ligne comme les membres du réseau Bellingcat (voir fiche précédente). Le premier réflexe est alors celui d’un recoupement entre les images de la vidéo et les images satellites du lieu en question, comme par exemple sur cette vidéo filmée le 7 février 2022 à Koursk.

Dater et géolocaliser une vidéo nécessite souvent une enquête au long cours, durant laquelle l’expert OSINT se sert d’une trousse à outils particulièrement fournie, dont il peut tirer profit grâce à sa connaissance préalable du contexte. Parmi les applications utilisées figure Suncalc.org, qui montre les mouvements du soleil à un endroit et une heure donnés sur une carte interactive. Elle permet de travailler avec l’orientation et la longueur des ombres. De la même façon, le site Ventusky.com permet de retrouver les conditions météorologiques d’un lieu à un moment donné sur une période de 5 ans. Mais, chercher un lieu sur une carte satellite, en général via le navigateur Eo Browser, revient parfois à chercher une aiguille dans une botte de foin (voir sur le site OSINTfr.com : étude de cas d’une frappe en Ukraine).

Exemple d’une enquête en sources ouvertes : le centre commercial de Krementchouk

Le 27 juin 2022, des informations sur un missile russe tombé sur un centre commercial Amstor dans la ville ukrainienne de Krementchouk (au centre du pays, à mi-chemin entre Kiev et Marioupol) commencent à circuler en ligne. L’Ukraine annonce rapidement que l’attaque a fait au moins 16 morts et 59 blessés, et que 1 000 personnes étaient dans le centre commercial au moment de l’attaque. Selon les Ukrainiens, l’attaque a été menée par deux missiles de longue portée tirés par des bombardiers russes. Pour Dimitri Polansky, représentant permanent adjoint de la Russie auprès des Nations unies, il s’agit alors d’une « provocation » ; il pointe aussi les « incohérences » de l’Ukraine. « C’est exactement ce dont le régime de Kiev a besoin pour maintenir l’attention sur l’Ukraine avant le sommet de l’OTAN [qui commençait le lendemain à Madrid, ndr] ». Selon les Russes, la cible de cette attaque « de haute précision » était un hangar destiné à stocker des munitions livrées par l’Europe et les États-Unis, à quelques centaines de mètres au nord du centre commercial. Ce dernier, selon eux, était inutilisé, le feu s’y étant simplement propagé depuis le hangar.

À l’aide de recherches menées en ligne, Bellingcat, dans un article publié deux jours après les faits, parvient à montrer que la version russe ne tient pas, en se référant à des vidéos postées en ligne et des images satellites. Grâce à des extraits filmés par une caméra de surveillance installée dans un parc au nord du hangar et du centre commercial, on voit clairement les flammes d’une explosion toute proche alors qu’il y a déjà un nuage de fumée au loin.

En s’appuyant sur ces images satellites, les enquêteurs de Bellingcat déterminent l’angle de la caméra, et montrent qu’il s’agit bien ici du centre commercial, dans l’axe, déjà en proie aux flammes au moment de l’impact (flèche rouge).

Par ailleurs, en comparant les images satellites de ces deux lieux avant et après leur destruction, les enquêteurs constatent que les bâtiments qui se trouvent entre les deux, sur une distance d’environ 500 mètres, ne sont ni détruits, ni brûlés, ce qui réfute l’idée d’une propagation des flammes. Enfin, une vidéo de missile s’écrasant sur un bâtiment, provenant d’une caméra de vidéosurveillance et publiée en ligne, concorde, elle aussi avec une analyse satellite des environs du centre commercial.

Ce faisceau d’indices concordants amène les enquêteurs à la conclusion qu’il y a bien eu deux impacts de missiles le 27 juin : le premier sur le centre commercial, le second sur la réserve de munitions présumée. Pour confirmer que le centre commercial était bien ouvert au public au moment de l’impact, l’enquête de Bellingcat s’appuie sur le message d’une chaîne de magasins indiquant que son magasin de Krementchouk avait rouvert malgré les alertes, ou encore sur des tickets de caisse datant des jours précédant l’attaque et mis en ligne par des internautes. Enfin, de nombreuses chaînes de magasins ont communiqué sur leurs personnels victimes de l’attaque. Mais l’enquête en ligne montre aussi ses limites : en se fondant uniquement sur des sources en ligne, impossible, concèdent les enquêteurs, de vérifier si les bâtiments visés étaient ou non une réserve de munitions.

Activités pour la classe

Retrouver sur Google Maps la ville de Krementchouk, comparer les calques (carte, satellite), placer le personnage jaune pour voir en street view et établir des correspondances.

Prendre un lieu emblématique et observer sur Google Street View les photos archivées pour se rendre compte du changement. Par exemple : regarder Notre-Dame depuis les quais (archive de juillet 2014) puis, depuis la rue d’Arcole et constater l’évolution avant et après l’incendie d’avril 2019.

Sophie Gindensperger, journaliste

Ressources complémentaires :

HASSON-FAURÉ, Nicolas. « Ce que les vidéos TikTok nous apprennent sur la crise en Ukraine ». Ouest-France, 23/02/2022.

Le site d’Openfacto, une association à but non lucratif (loi 1901), dont l’objectif est de fédérer et de promouvoir la scène OSINT francophone.

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