Le 13 novembre 2014, un témoin affirme avoir vu un tigre sur le parking d’un supermarché, en Seine-et-Marne. Quatre clichés, de mauvaise qualité, ont été pris et relayés dans la presse. Tous les médias (presse, radio, télévision) se sont emparés de l’affaire en interrogeant des sources secondaires et en oubliant parfois de mettre cette information au conditionnel. Un manque de prudence caractéristique de l’emballement médiatique : quarante huit heures après l’alerte, il s’avère que le tigre n’en était pas un. Une étude de cas à proposer en classe pour travailler la notion de source.
Fiche Ressources, parue dans le Dossier de la Semaine de la presse, 2018
L’alerte est donnée par Le Parisien à 12h02, le 13 novembre 2014 : à Montegrain, en Seine-et-Marne, la femme d’un gérant de supermarché a signalé la présence d’un tigre dans la matinée. «Elle n’est pas sortie de la voiture et m’a appelé pour me dire "je crois que j’ai vu un lynx", signale son époux, au Parisien. Le témoin a réussi à prendre quatre clichés de l’animal, repris dans la presse et sur les réseaux sociaux :
Onze minutes après la publication de l’article du Parisien, l’AFP publie également une dépêche pour signaler la présence d’un tigre. C’est donc sur la base de ce seul témoignage et de quelques clichés de mauvaise qualité que toute la presse embraye, avec plus ou moins de prudence, en oubliant d’utiliser le conditionnel.
Pour L’Express par exemple, «Un tigre s’échappe en Seine-et-Marne».
CNews Matin évoque, sur la base de la dépêche AFP, "Un tigre en liberté en Seine- et-Marne". Le titre est affirmatif et ce n’est que dans le corps de l’article que le conditionnel est utilisé pour préciser qu’il "aurait été aperçu vers 14 h".
Dans une nouvelle dépêche AFP publiée le soir, une deuxième source confirme la présence d’un tigre : Robert Picaud, président départemental de la Louveterie*, assure avoir expertisé une trace. "L’empreinte n’a pas été faite par quelqu’un avec une perche", déclare- t-il au Parisien.
Sur la base de ces deux sources, le témoin le matin, et l’unique expert l’après-midi, tout s’emballe. Pour les chaînes d’information en continu, pas de doute sur la présence d’un tigre. Un journaliste de BFMTV explique que le "jeune tigre n’a toujours pas été localisé". Le lendemain matin de l’alerte, une envoyée spéciale d’itelé se trouve à quelques kilomètres "de là où le fauve avait été d’abord repéré".
La traque se fait en temps réel, les témoins défilent sur les chaînes. Mais ce sont des témoignages secondaires, voire totalement inutiles. Par exemple, un père d’élève assure avoir "reçu plusieurs messages de [sa] fille", confinée dans un établissement scolaire en attendant la capture du tigre.
Autre témoin : Gilbert Edelstein, directeur du cirque Pinder. Sur BFMTV, il prodigue quelques conseils en cas d’attaque du tigre : il faut "crier, le plus fort possible, explique-t-il. Encore mieux, crier en allemand, les sons gutturaux peuvent l’impressionner. Le fait d’être vertical et de gueuler, ça lui fiche la trouille et il va s’en aller".
Point commun de ces deux témoins? ils n’apportent rien à l’affaire car ce ne sont pas des sources de première main, ils n’ont pas vu le tigre. Et pour cause : quarante huit heures après le début de la traque, de nouvelles expertises établissent que les traces repérées sur les lieux n’étaient pas le fait d’un tigre mais d’un gros chat.
* Louveterie : organisme en charge de la «régulation des nuisibles et du maintien de l'équilibre sauvage». (Wikipédia)
Cet exercice a été effectué dans une classe de CM2, dans le cadre de nos ateliers Déclic'Critique. La séance filmée, ainsi que toutes les ressources utilisées (vidéo et captures d’écran), seront prochainement disponibles ici.
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Sébastien Rochat, responsable du Pôle Studio du CLEMI