Incroyable : une Autrichienne de 18 ans a porté plainte contre ses parents après que ces derniers ont refusé de retirer de Facebook les 500 photos d’elle qu’ils avaient prises pendant toute son enfance. Cette plainte pour violation de la vie privée a fait le tour du monde : des médias américains, anglais, allemands, vietnamiens, français ont relayé l’information en se recopiant les uns les autres. Une information virale… qui s’est révélée fausse.
Fiche ressources, parue dans le Dossier de la SPME 2019
« C’est une histoire étonnante mais tout à fait sérieuse ». En septembre 2016, le site de la radio RTL raconte l’histoire d’une Autrichienne de 18 ans qui a porté plainte contre ses parents. Elle leur reproche d’avoir diffusé près de 500 clichés d’elle sur Facebook. « Toute ma vie a été photographiée et rendue publique », explique la jeune femme. N’ayant pas réussi à convaincre ses parents de supprimer les photos, elle a donc porté l’affaire en justice pour demander leur retrait et une compensation financière. Une première en Autriche. Selon son avocat, elle a de bonnes chances de l’emporter.
Voilà comment RTL, mais aussi Europe 1, Le Parisien, Rue89, Cnews, Grazia ont raconté cette histoire.
L’affaire a également été relayée par des journaux prestigieux comme USA Today (États-Unis), The Independant (Angleterre) ou encore le magazine Stern (Allemagne). On trouve même le récit de cette jeune Autrichienne sur un site vietnamien...
Mais d’où est parti ce buzz planétaire ? Les articles français citent trois sources différentes, toutes issues de médias autrichiens : Heute et Die Ganze Woche (en langue allemande), et The Local (en anglais). C’est d’ailleurs ce média, en raison de la langue, qui est le plus souvent cité comme source principale.
Mais en réalité, il n’y a qu’une seule source : l’article de Die Ganze Woche qui est aujourd’hui hors ligne. Les autres médias autrichiens n’ont fait que reprendre les informations publiées par ce tabloïd. Et c’est un problème car les dizaines d’articles publiés à travers le monde ne s’appuient que sur un seul article.
Seule la RTBF, la télévision belge, qui a d’abord relayé l’histoire comme les autres, a cherché à en savoir plus en interrogeant la rédaction de son homologue autrichien, l’ORF. La télévision publique autrichienne n’a pas fait de reportage sur cette affaire, et pour cause : « Nous avons essayé de chercher les parents ainsi que la jeune fille qui soi-disant portait plainte contre ses parents pour des photos d’elle, postées sur Facebook. Nous ne les avons pas trouvés », a expliqué le chef de la cellule société de l’ORF, Christian Jänsch. « Nous avons également appelé tous les tribunaux ainsi que tous les avocats chargés du droit des médias que nous connaissons en Autriche. Personne n’a pu nous dire : oui, cette affaire existe et elle est actuellement traitée par l’un de nos tribunaux. »
Autre moyen de vérifier si cette histoire est vraie : interroger Michaël Rami, l’avocat de la jeune femme, qui est le seul nom propre donné dans les articles. Contacté par la RTBF, ce dernier a assuré qu’il n’avait jamais entendu parler de cette plainte : «Ils m’ont appelé en tant qu’expert, en me demandant ce que je pouvais dire sur cette affaire, explique Michaël Rami. Je leur ai répondu que je ne connaissais absolument rien sur cette affaire. Mais que si les faits étaient avérés, la poursuite pourrait être couronnée de succès. Et alors un gars en Angleterre l’a traduit de façon incorrecte. C’est fou ! »
Et voilà comment avec une mauvaise traduction, l’expert, interrogé sur un cas théorique, est devenu l’avocat d’une jeune Autrichienne de 18 ans.
À la suite de l’enquête de la RTBF, certains sites d’information ont rectifié et se sont excusés, comme Rue89 par exemple. Mais d’autres ont laissé telle quelle la fausse information, sans effectuer la moindre mise à jour de leurs articles deux ans après.
Pas si surprenant, au regard du travail d’enquête effectué en 2016 par le journaliste Yann Guégan. Ce dernier avait déjà constaté que de nombreux sites d’informations ne mettaient pas à jour leurs articles quand, par erreur, de fausses informations avaient été publiées. En analysant le parcours de cinq fausses informations, et en passant au crible les productions d’une trentaine de médias français, il avait trouvé 41 articles relayant l’une des cinq fausses informations. Un constat lié à l’absence de procédés internes dans les rédactions : personne n’effectue une veille des fausses informations pour vérifier si elles n’ont pas été publiées par erreur sur leur site.
Avec le mode de circulation des informations généré par le numérique (facilité, rapidité, viralité), les erreurs de traduction potentielles et la logique de flux qui prévaut dans le fonctionnement des sites d’information gratuits financés par la publicité, certains médias se contentent de reprendre des informations sans les vérifier. D’où la nécessité pour le lecteur de systématiquement vérifier la source d’une information et de croiser différentes sources. D’autant plus que même si les médias ont une obligation déontologique vis-à-vis de leurs lecteurs, les obligations légales imposant la publication d’un rectificatif sont limitées. Malgré la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de presse disposant que la publication de fausses informations est proscrite, les médias qui ont diffusé de fausses informations par imprudence (en raison d’un manque de vérification) n’ont pas l’obligation de publier un rectificatif, hors procédure judiciaire ou plainte en diffamation.
Dans le cas précis de cette affaire autrichienne, en l’absence de procédure judiciaire en France, rien n’oblige les médias français à corriger leur article. En Autriche, le magazine Die Ganze Woche s’est contenté de retirer l’article, sans préciser la nature de l’erreur. Cette jeune Autrichienne de 18 ans existe-t-elle ? D’où proviennent les citations attribuées à cette jeune femme ? Comment expliquer une telle erreur ? Les lecteurs n’en sauront rien.
En prenant cette étude de cas autrichienne ou une autre fausse information (les Décodeurs du Monde ont publié un annuaire des fausses informations), demandez aux élèves de remonter à la source de chaque affirmation. Ce travail nécessite de savoir identifier un site web, de comparer les dates de publication des articles et de s’interroger sur la pertinence des différentes sources citées. Comprendre le circuit de l’info et analyser les sources est le meilleur moyen de garder une distance critique face aux différentes productions médiatiques.
POUR ALLER PLUS LOINRessources
Sites spécialisés dans la vérification de l’information
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Sébastien Rochat, responsable du pôle Studio au CLEMI