Aussi rapide à créer qu’à comprendre, modifiable et partageable à l’infini, le mème a envahi peu à peu l’ensemble de l’espace médiatique. En se généralisant, ce transfuge visuel de la culture web est devenu pour beaucoup d’internautes un moyen d’accéder à l’information.
Qu’est-ce qu’un mème ? « La question elle est vite répondue. » Si cette réponse vous est familière, c’est que vous avez déjà croisé sur le web un de ces exemples de texte, photo ou courte vidéo, souvent teintés d’humour. Cette forme de langage médiatique largement partagée, commentée et modifiée, circule de façon virale sur les réseaux sociaux, allant même jusqu’à être reprise par les médias traditionnels et la publicité.
Capture d’écran d’un mème devenu viral en juin 2020.
Automne 1996 : selon cette chronologie du web du Monde, c’est à cette date que serait né le premier mème internet, « Dancing baby », une vidéo de nourrisson dansant sur fond noir. Mais avant de devenir un phénomène énonciatif sur le web, le créateur de ce terme, le biologiste Richard Dawkins, définit vingt ans plus tôt le mème comme une entité culturelle capable de se répliquer, se combiner, et évoluer, à l’image des gènes.
S’il est si rapidement assimilé et partagé, c’est en effet que le mème fait appel à des références culturelles communes, une forme de langage universel : chaque internaute qui le comprend montre son adhésion à un groupe culturel en le partageant à nouveau, parfois en le modifiant. Dans la majorité des cas, ces publications ont recours aux émotions. Ce format, qui fait appel à la connivence, permet de diffuser un discours politique ou d’évoquer une actualité plus dramatique en allégeant le propos, le rendant ainsi plus facilement partageable (à l’image, par exemple, du célèbre « Grumpy cat »). Au-delà de l’humour, il s’agit en effet bien souvent de faire circuler efficacement des opinions, comme l’a montré la récupération de Pepe The Frog (« Pepe la grenouille ») par les partisans de Donald Trump. « C’est cette référence implicite – un signe de tête ou un clin d’œil indiquant un savoir partagé sur un événement ou une personne – qui fait la force des mèmes.[...] Les clés du discours (un événement récent, une déclaration politique, une campagne publicitaire ou une tendance culturelle plus large) n’y sont souvent pas citées, ce qui oblige le spectateur à faire lui-même un lien. Cet effort supplémentaire exigé de lui est une technique de persuasion, parce qu’il crée chez l’individu le sentiment d’être connecté aux autres », analyse dans la revue Pour la science Claire Wardle, chercheuse spécialisée dans la désinformation, qui craint que la simplicité du format en fasse un vecteur efficace d’infox.
Captures d’écran.
Mais comment un mème devient-il un mème ? Par quels mécanismes entre-t-il dans l’espace médiatique ? L’exemple du mème “Distracted boyfriend” (ou “Compagnon distrait”) est à ce titre très intéressant.
Cette photo, prise en Espagne en 2015 par le photographe Antonio Guillem, est ce qu’on appelle communément une “photo de stock” mise à disposition de clients qui souhaitent illustrer une campagne marketing ou un site web avec des images génériques, montrant souvent des situations de la vie quotidienne. Mais c’est en 2017 que la photo est utilisée pour la première fois comme support d’une idée : sur un groupe Facebook consacré au rock, un internaute veut montrer que Phil Collins cède aux sirènes de la pop music, au grand dam du rock progressif. De là, la même image passe à une autre page du réseau social, puis à Twitter. Plus tard dans l’année surgit l’une des versions les plus populaires de ce mème : la jeunesse accompagnée du capitalisme, séduite par le socialisme.
Images archivées sur Knowyourmeme.com.
C’est à ce moment-là que la machine s’emballe : la photo devient un support pour toutes sortes de messages, sur une échelle de la plus terre-à-terre (« L’iphone 10 » « Moi » « Ma carte de crédit ») à la plus pointue, chaque communauté en ligne s’en emparant à sa façon. Y compris des marques, comme la maison d’édition Penguin random house, qui en profite pour faire une petite leçon d’ortho-typographie (“tiret”, “Moi”, “savoir utiliser le point-virgule”) ou encore Just Eat, qui avance la supériorité d’un repas à emporter sur le fait de cuisiner. Récupérer les mèmes pour atteindre un public plus jeune est une tendance que pointait Slate.fr en décembre 2019.
Comment expliquer ce succès ? « Il s’agit d’une version moderne d’un concours de légende photo », avance Tiffany Kelly sur le site Dailydot. « Le mème ne demande aucune explication ou compréhension de la culture du mème [...] Il est si facile à saisir, il suffit de le regarder ».
Capture d'écran du compte Twitter de Just Eat.
Consécration suprême, le 29 mai 2019, l’image saute même des réseaux sociaux à la vénérable une “papier” du cahier Affaires du New York Times. On y voit «Renault» se retourner vers «Fiat Chrysler», au détriment de « Nissan », dans un contexte économique de redéfinition des alliances entre les entreprises.
Photo David Enrich publiée sur Twitter.
Proposer aux élèves de comparer deux types d’images autour d’un thème d’actualité : un mème repéré sur un réseau social et une photo de presse légendée. Dans quelle image peut-on relever les réponses aux 5W ? Les deux images font-elles référence à des événements précis ? Quel est le ton utilisé par le texte accompagnant l’image ? Faire la différence entre les éléments explicites et implicites rencontrés dans les deux images.
On peut également proposer un dessin de presse à comparer aux deux premières images.
Dans un second temps, les élèves peuvent également proposer leurs propres mèmes à partir d’une image, en travaillant sur le ton humoristique et les références implicites de leur publication.