Cliquez ici pour imprimer cette fiche
« Une grande session d’information qui mêle humour et impertinence. » C’est en ces termes que l’émission « Quotidien », présentée par Yann Barthès et diffusée sur TMC, se définit. Un mélange des genres entre info et divertissement où l’on apprend, entre deux rires, qu’une ministre adore le chanteur Johnny Hallyday mais lui préfère le groupe danois Scarlet Pleasure pour danser et qu’elle se déplace parfois en jet privé, le même que celui de la star américaine, Taylor Swift. Des questions « légères » qui alternent avec d’autres plus sérieuses sur le budget ou les conséquences du changement climatique : c’est la recette des émissions d’infodivertissement. Un genre plébiscité par le public, puisque l’émission a été suivie, ce soir-là, par 1,8 million de téléspectateurs.
Et parmi les nombreux téléspectateurs de « Quotidien », on retrouve un certain nombre d’élèves, car, contrairement aux idées reçues, à l’ère des réseaux sociaux, les adolescents continuent à privilégier la télévision pour s’informer. D’après une étude réalisée dans le cadre de CLEMI Sup en mai 2024, la télévision reste la principale source d’information pour 42,4 % des lycéens interrogés.
Mais que regardent-ils pour se tenir au courant de l’actualité ? Interrogés dans le cadre d’ateliers menés en classe par le CLEMI, les collégiens et les lycéens citent souvent les mêmes émissions : les journaux télévisés, des chaînes d’info en continu, mais aussi des émissions comme « Quotidien » (TMC) ou « Touche pas à mon poste » (C8), deux programmes qui relèvent de l’infodivertissement.
Derrière ce terme d’infodivertissement se déclinent souvent des émissions de plateau, mêlant les invités politiques à des personnalités du monde de la culture, ponctuées de chroniques ou montages vidéo, alternant questions légères et sujets plus sérieux, dans le but d’attirer un large public. Ce format hybride, qui mélange les codes, n’est pas nouveau. Dans un dossier très complet sur le sujet, Marc Massoni, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Aix-Marseille, rappelle que les premiers programmes télévisés de ce genre remontent à la fin des années 1960 en France. Diffusée sur l’ORTF, l’émission « Au rendez-vous des pêcheurs » avait par exemple accueilli le secrétaire d’État à l’Agriculture de l’époque dans une édition spéciale. Ce jour-là, ce membre du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas « fait part de sa passion pour la pêche et évoque des souvenirs d’enfance liés à la pratique de ce loisir très populaire. [...] Incidemment, il promeut l’action gouvernementale dans ce domaine si peu médiatisé à l’époque », explique Marc Massoni. Des souvenirs personnels, un peu d’émotion et des bribes d’information : les ingrédients pour bien communiquer dans une émission grand public sont déjà là.
Dans les années 1980 et 1990, les programmes d’infodivertissement se multiplient et, avec eux, les débats sur les bienfaits – ou les méfaits – de ce format où la quête d’audience peut se faire au détriment de la qualité de l’information. Malgré ces réserves, le phénomène médiatique prend de l’ampleur. Dans un article publié dans la revue Le Temps des médias, Guillaume Fradin, doctorant en sciences politiques à l’université de Paris II, constate que la présence des responsables politiques dans les émissions de divertissement ne cesse de croître (21 passages relevés en 1962, contre 127 en 2004).
À la télévision française, dans les années 1990- 2000, les émissions de talk-show sur les télévisions privées (« Nulle part ailleurs » et « Le grand journal » sur Canal+) mais aussi sur le service public (« Tout le monde en parle » et « On n’est pas couché » sur France 2, « On ne peut pas plaire à tout le monde » sur France 3) doivent leur succès d’audience à ce mélange des genres. Les responsables politiques se bousculent sur ces plateaux au milieu des acteurs ou chanteurs et des rires d’un public réceptif aux questions décalées des animateurs. Il n’est pas rare de voir un ministre questionné sur sa vie intime par exemple.
Dans les années 2010, l’avènement des réseaux sociaux a développé la présence de l’infodivertissement. Les « meilleures » séquences sont montées dans de courtes vidéos et partagées par des communautés de fans sur les réseaux sociaux. Chaque émission a son propre hashtag pour faire réagir le public et certains messages de téléspectateurs peuvent être diffusés en direct à l’antenne.
Cette interactivité fidélise un public et alimente les programmes par la même occasion. Et ce procédé fonctionne : aujourd’hui, l’infodivertissement a atteint une telle puissance en termes d’audiences, et donc d’attractivité pour les annonceurs, qu’il se retrouve un peu partout. Des journalistes passent d’un genre à l’autre, comme Léa Salamé qui présente la matinale d’information sur la radio France Inter en semaine et anime le talk-show « Quelle époque ! » le samedi soir sur la chaîne de télévision France 2 en compagnie de l’animateur Christophe Dechavanne. Un programme où le rire l’emporte sur l’info.
Sur les chaînes d’info en continu, la tentation de l’infodivertissement est également palpable. Débats caricaturaux avec des bandeaux un peu racoleurs, éditorialistes chroniqueurs dont l’intervention est destinée à être reprise sur les réseaux sociaux pour promouvoir l’émission, un glissement est en train de s’opérer progressivement. L’arrivée de l’animateur Laurent Ruquier sur la tranche 20 heures-21 heures de BFMTV, fin 2023, en est l’illustration. Il n’est pas journaliste et y reprenait quelques ingrédients de son ancienne émission d’infodivertissement (« On n’est pas couché »). Des choix éditoriaux qui peuvent amener le téléspectateur à réfléchir sur le thème de la Semaine de la presse et des médias dans l’École : mais où est l’info ?
Dans cette galaxie d’émissions, « Touche pas à mon poste », présentée par Cyril Hanouna sur C8, est un cas à part. Le mélange des genres et la recherche de séquences chocs pour les réseaux sociaux sont poussés à leur paroxysme. L’évolution du programme, diffusé depuis quatorze ans, d’abord sur France 4 puis sur C8, illustre les dérives de l’infodivertissement et les risques potentiels de ce type de format lorsque celui-ci est détourné de ses fonctions premières, informer et divertir, pour être instrumentalisé à des fins politiques.
Toujours classé sur le site de C8 et du groupe Canal+ comme un programme de « divertissement et humour » (sic !), « Touche pas à mon poste » (« TPMP ») comporte plusieurs parties. La première relève du divertissement : des chroniqueurs aux profils très variés (chroniqueurs ou animateurs télé, anciens participants à des programmes de téléréalité, journalistes) plaisantent entre eux, font des happenings et commentent les « images du jour » sur un ton très léger. Puis, dans une seconde partie d’émission, les débats d’actualité, parfois en présence de responsables politiques, s’enchaînent. Le plateau, composé essentiellement de chroniqueurs non spécialistes des sujets débattus, aboutit à des échanges, au mieux, sans grande plus-value journalistique. « Au mieux », car, lorsqu’on analyse précisément le dispositif de l’émission et les propos qui y sont répétés quotidiennement, on mesure l’ampleur du problème de « TPMP », dont la dangerosité est masquée par la bonne humeur de la première partie.
Dans l’ouvrage « Touche pas à mon peuple », l’historienne des médias Claire Sécail démontre ainsi comment, sous couvert de divertissement, le programme de Cyril Hanouna « est une entreprise de désinformation qui menace les fondements de la démocratie », notamment en banalisant « la charge contre les institutions de la démocratie représentative ». La succession de sanctions et de mises en garde infligées à l’émission par l’Arcom permet de mesurer l’ampleur du problème : « insultes », « canular homophobe » et plus récemment « diffusion d’une théorie du complot ». Pas de quoi faire rire l’autorité de régulation : en juillet 2024, l’Arcom n’a pas renouvelé la fréquence TNT de C8, une première dans l’histoire de la télévision française.
Sébastien Rochat, responsable du pôle Studio du CLEMI
Guillaume Fradin, « Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005) », Le Temps des médias, no 10, printemps 2008.
Claire Sécail, Touche pas à mon peuple, Seuil, 2024.
« Salamé-Dechavanne, l’étrange duo de "Quelle époque !" », Arrêt sur images, 30 octobre 2022.