Fiche infos, parue dans le dossier de la Semaine de la presse 2017
Chaque jour, nous sommes exposés à un déluge de messages publicitaires (selon une étude de l’institut américain Media Dynamics de 2014, nous sommes exposés en moyenne à 362 messages publicitaires par jour) . pour réussir à capter le peu d’attention qu’il nous reste, les communicants ont compris qu’il fallait se faire discrets. La publicité ne dit plus son nom : elle se déguise en contenu éditorial, s’intègre aux récits de fictions, s’abrite derrière un tweet de célébrité… Une évolution qui achève d’abolir la frontière entre information et communication et soulève des enjeux déontologiques.
Ressources
- Florence Amalou, Le Livre noir de la publicité, Paris, Stock, 2001.
- Denis Boutelier, Le Grand Bluff, Denoël, 1991.
- Marc Martin, Trois Siècles de publicités en France, Odile Jacob, 1992.
- Jean-Marc Lehu, La publicité est dans le film, Éditions d’organisation, 2006.
Quand les marques crèvent l’écran
L’objectif des agences spécialisées dans le placement de produit est d’intégrer les marques le plus naturellement possible aux scénarios qu’elles reçoivent, moyennant finance. Le spectateur, confortablement plongé dans une salle obscure ou absorbé par l’écran, émotionnellement captif, constitue une cible parfaite. Cette infiltration des marques dans la fiction constitue une manne financière qui permet souvent de boucler des budgets de production. Les agences peuvent même parfois être à l’origine de la création d’une séquence entière pour assurer une forte exposition aux annonceurs1. C’est pour alerter le spectateur et signaler cette forme de publicité, fondue dans un contenu culturel, que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel impose, depuis 2010, une signalétique spécifique avec le symbole P. Côté réglementation, les eaux du Net semblent plus troubles. Une aubaine pour les marques qui veulent toucher un public jeune, souvent mineur, et pas forcément averti. La presse a révélé plusieurs cas récents de youtubeurs, rémunérés pour placement de produit sans l’avoir précisé à leur public2. Cyprien, par exemple, dans sa vidéo humoristique sur le jeu Les Sims, vue plus de 10 millions de fois, ne précise pas clairement que l’éditeur du jeu a participé au financement. En 140 caractères, les marques misent également beaucoup sur les services des twittos les plus influents, qui monnayent au prix fort la mise en relation avec leur communauté : de 240000 € le tweet de Cristiano Ronaldo à 450000 € pour Kim Kardashian…
La publicité déguisée en information : du publireportage à la publicité native
Le publi-rédactionnel mime les genres de l’information (article, reportage et interview) et la scénographie journalistique : titraille, chapeau, légende. Le contenu est parfois signé par un pseudo journaliste, pour faire croire à la véracité de l’information. Pour maintenir les garde-fous, la législation impose que ces contenus soient signalés clairement au lecteur. Mais quand on sait que des personnels de la régie publicitaire du média s’inviteront dans les conférences de rédaction3, il s’avère de plus en plus difficile de ne pas franchir la ligne rouge. Version contemporaine et innovante du publi-rédactionnel, la publicité native franchit une nouvelle étape dans la confusion des genres. Protéiforme, elle se fond totalement dans l’espace éditorial et graphique de chaque média. Cette nouvelle forme de communication caméléon s’adapte aux codes de chaque rédaction, pour mieux masquer sa nature commerciale. Il arrive même que ces contenus sponsorisés soient signés par les journalistes de la rédaction4… Ce brouillage des frontières n’est pas sans conséquence : aux États-Unis, 71% des internautes ne font pas la différence entre un article de presse et une publicité déguisée en article5. Dans le contexte actuel de crise de confiance et de défiance des plus jeunes vis-à-vis des médias, ce dangereux jeu de cache-cache fragilise l’éthique journalistique. Les règles déontologiques, vitales pour nos démocraties, ne pourront être sauvegardées qu’en imposant l’indépendance des rédactions et en réaffirmant une frontière nette et infranchissable entre information et communication.
Virginie Sassoon, responsable du Labo du CLEMI, François Saltiel, journaliste 28 minutes / Arte
Exemples :
- la scène chez Feu vert dans « Taxi 2 » / Clarins dans « Brice de Nice » source ici à 5’58 www.dailymotion.com/video/x1pnkk_la-pub-pour-le.tabac-au-cinema_shortfilms
- www.arretsurimages.net/breves/2016-03-11/Pub-cachee.sur-Youtube-premieres-sanctions-financieres-Le-Monde.id19724
- www.arretsurimages.net/breves/2015-10-07/New-York.Times-une-representante-de-la-pub-dans-la-redaction.id19341
- www.leblogducommunicant2-0.com/2015/03/07/ publicite-native-innovation-pour-les-contenus-ou.risque-patent-de-derive-editoriale
- www.arretsurimages.net/breves/2015-09-21/Pub-ou.article-Les-lecteurs-americains-ne-voient-pas-la.difference-id19269