Préprints, rétractations, journaux prédateurs, sont, pour beaucoup, des mots nouveaux apparus à la faveur de la crise de la covid-19. Le public découvre les coulisses de la production de ces connaissances, en même temps qu’il se familiarise à grande vitesse avec celles des virologues, épidémiologistes ou généticiens.
Dans cette production, l’article scientifique est un maillon essentiel, qui obéit à des codes particuliers et est actuellement en plein bouleversement.
Traditionnellement, un article est écrit par une équipe de chercheurs pour rendre compte de leurs découvertes et envoyé à des journaux spécialisés. Ces derniers organisent notamment une partie du contrôle qualité de la science : la relecture par les pairs (ou peer review, en anglais). Le manuscrit est envoyé anonymement à des spécialistes (au minimum deux), dont l’avis servira à l’éditeur pour décider de publier ou non le travail.
Cela n’empêche pas les erreurs ou les fraudes. Si ces problèmes sont repérés après la publication, l’article peut être retiré (ou « rétracté ») : il ne disparaît pas, mais la mention « retracted » l’accompagne ad vitam æternam. Ce processus n’a été systématisé qu’après-guerre, en même temps que le paysage de l’édition se transforme.
L’édition scientifique, originellement réalisée au xviie siècle par des sociétés savantes ou des académies (en France et en Angleterre), devient alors un marché lucratif. Une poignée d’entreprises, dont RELX group (ex Elsevier), Springer-Nature, Wiley et Taylor & Francis, se partage aujourd’hui l’essentiel d’un marché de 25 milliards d’euros, dans lequel plus de 30 000 journaux publient environ 3 millions d’articles par an. La croissance est portée par l’augmentation du nombre de « clients », les chercheurs, la multiplication des journaux liée à l’atomisation du champ scientifique et enfin le modèle de l’abonnement, dans lequel les chercheurs sont « captifs », car l’article scientifique est leur « carburant ». Pour l’historien canadien Yves Gingras, l’article, « unité de connaissance » est devenu une « unité comptable », qui conditionne le recrutement du chercheur, sa carrière, la réputation de son institution, la place de son pays…
A partir des années 2000, des tensions apparaissent. Le prix des abonnements augmente considérablement et les chercheurs s’agacent de fournir gratuitement un travail de relecture à des entreprises qui en profitent. La dictature du chiffre fondée sur le nombre d’articles est dénoncée. Un mouvement naît alors, prônant le libre accès à la connaissance (open access), c’est-à-dire la mise à disposition gratuite des articles, sous deux formes principales. Soit en déposant sur des sites, avant publication (preprint, une version non relue par les pairs) ou après publication (archives), gérés pour l’essentiel par des universités ou des États. Soit en transformant le modèle économique : l’auteur paie pour être publié, en échange de quoi, son article est disponible gratuitement pour tous.
De plus en plus de revues ont adopté ces systèmes, avec déjà des dérives. De faux journaux, dits prédateurs, ont été créés pour publier vite, sans contrôle qualité des articles, en empochant de petits frais de publication. Les grands éditeurs négocient des forfaits élevés avec des États pour que leurs chercheurs publient gratuitement, sans alléger finalement la facture globale.
Le domaine continue d’évoluer, avec de nombreuses initiatives pour changer les pratiques et améliorer la qualité : revues open access sans frais de publication, forums de discussion post-publication (Pubpeer), plateformes ouvertes de partages de données, curation organisée par une communauté. Et même des sites illégaux de téléchargement d’articles…