ON A AIMÉ
L’alternance entre les reportages et l’interview des invités en plateau.
Dans le premier Speed live de l’année scolaire 2023-2024, le sujet choisi est le pantalon cargo. Micro-trottoirs, reportages dans une boutique, interviews d’une commerçante et d’une créatrice de mode, les élèves abordent ce sujet selon différents angles et différents formats.
La prise en compte des commentaires du tchat.
Pendant les lives, le tchat, c’est à la fois des compliments (“Trop bien la déco !” écrit Rachel1210 dans le speed live sur l’uniforme) et un moyen de donner la parole à tous : “A quoi ça sert d’avoir décidé de nous donner des uniformes ?” demande le présentateur à ses deux invitées suite à une question posée dans le tchat.
Les challenges qui rythment les lives.
Du quiz sur le jeu Zelda qui oppose une enseignante et un élève aux questions de “Potes and curious” (“Travailler dans un collège ou dans un lycée?”, “Zumba ou course à pied?”, “pain au chocolat ou chocolatine ?”), ces petites séquences légères collent bien à l’esprit Twitch et permettent de découvrir une nouvelle facette des invités.
L’interview
Gaëtan Bergues est professeur-documentaliste au collège Paul Eluard de Beuvrages (59). Avec ses collègues Soraya El-Brik et Julie Tellier, il s'occupe d’une classe média et, plusieurs fois dans l’année, les élèves animent sur Twitch des lives que l’on peut ensuite revoir sur YouTube. Faire des lives, un vrai défi à chaque fois relevé brillamment grâce à une préparation rigoureuse.
Présentez-nous Melting’Potes.
Melting’Potes, c'est un média réalisé par les jeunes pour les jeunes, qui a pour objectif de réaliser des lives. Les élèves réalisent tout : on les forme à la technique, à l'animation du plateau, au back office avec la gestion, la modération, l’animation du tchat.
Cette année, on fonctionne avec trois Speed lives. C'est un format qui ne doit pas dépasser habituellement les 20 minutes : on choisit un thème et ce thème est traité au travers d'un reportage et d'invités plateau. A la fin, on termine toujours par un jeu parce que l'objectif est de rester dans quelque chose de léger et dans l'esprit Twitch. L'objectif n'est pas d'avoir une émission télé et de la mettre sur Twitch. L'objectif, c'est de prendre le format Twitch et de l'adapter au format du média scolaire.
A la fin de chacune des trois premières périodes de l’année, on réalise un Speed live et, sur les deux périodes qui terminent l'année, on réalise ce qu'on appelle un Big live qui dure environ 1 h et qui présente six reportages toujours choisis par les élèves.
Pourquoi avoir choisi Twitch et YouTube ?
La classe média est partie d'une erreur de concept : au début, on était dans quelque chose de très descendant, pas du tout dans la pratique et on a vu très vite durant l'année que ça n'a pas du tout fonctionné avec les élèves. Donc on a arrêté notre classe média et on a laissé une année de temps de réflexion.
On avait un club cinéma dans l'établissement et un petit peu de matériel et on s'est dit : pourquoi ne pas faire une émission de télé, une émission vidéo en live ? Et ce qui explosait à ce moment-là, c'était Twitch. Nos jeunes maîtrisent beaucoup plus l'outil que nous : la modération du tchat je l'ai apprise au travers des élèves. Donc on s'est lancé avec très peu de matériel et, petit à petit, on a déposé différents projets [pour obtenir des financements] et maintenant on arrive à avoir un studio assez incroyable, avec une régie. Mais on peut débuter avec juste une webcam pour faire du live sur Twitch, ça suffit largement avec des élèves.
Est-ce que cela a été difficile d’aller sur Twitch ? Avez-vous rencontré des freins ?
On a eu de la chance, on a lancé ça juste avant le confinement. La première année de classe média est tombée un peu à l'eau, mais elle nous a servi parce que des journalistes ont basculé sur Twitch (Samuel Etienne par exemple) et cela a légitimé aussi notre posture. Mais il y avait quand même beaucoup de réticences, beaucoup d'inquiétudes : RGPD, pas RGPD ? Comment ça fonctionne ? Qu'est ce qu'on fait des images de nos élèves ? On a dû un peu déconstruire ça.
Il y a des points où je trouve Twitch très rassurant : d’abord, c'est du live donc ça ne laisse pas de traces. On a un compte qui est un compte établissement, qui n'est pas un compte personnel, donc la seule chose qui apparaît c'est le prénom des élèves. Et dans le paramétrage de la chaîne, on demande que Twitch ne conserve pas l'ensemble des diffusions. Nous, on les enregistre de notre côté et ça nous laisse le temps, par la suite, de bien checker notre live, de voir que les élèves ne sont pas en défaut sur le live avant de pouvoir le diffuser sur YouTube.
Et bien sûr on a toute une phase de sensibilisation des parents : on leur explique la situation, notre éthique et le souhait de valoriser leurs enfants et pas de les mettre en difficulté.
Il ne faut pas avoir peur d'utiliser les outils des élèves. Au contraire, je pense qu'il faut leur montrer les bonnes pratiques de ces outils, leur donner des codes pour bien les utiliser et pour se faire entendre de manière optimale dessus.
Et le fait d'avoir reçu le prix Médiatiks, ça a aussi beaucoup légitimé la chose.
Comment choisissez-vous les sujets ?
On a une phase de réflexion en début d'année sur ce qu'est une info. Ensuite chaque élève écrit deux thèmes qu'il souhaite traiter dans un Speed live. Après c'est comme une conférence de rédaction : tous les thèmes sont affichés au tableau, chacun défend son thème et on vote. Par exemple, le sujet sur le pantalon cargo a été pour nous une découverte. On s'est dit : là, on tient un sujet qu'on ne maîtrise pas obligatoirement tous et ça peut être intéressant. En anglant le sujet, les élèves se sont intéressés à l'économie derrière le pantalon cargo et sont arrivés à quelque chose de beaucoup plus intéressant que juste dire : “On porte des pantalons cargo dans la rue, c’est trop tendance”.
Comment s’organise le travail en classe ?
On n'a qu'une heure par semaine, ça veut dire que, sur une période, on a sept heures pour monter un reportage et un live avec nos élèves et c'est très court.
La première heure, on choisit notre sujet et, dès qu'on a le sujet, on se répartit en groupes : un groupe à la technique qui réfléchit comment on filme ce sujet là ; un groupe de recherche d'informations et de préparation des interviews ; un groupe qui angle le sujet et scénarise le reportage et le live. Donc, la classe est divisée en trois groupes et, sur les trois premières périodes, les trois groupes tournent et sont sensibilisés à l'ensemble des compétences et des connaissances nécessaires pour monter un live. On prépare les deux présentateurs, les questions, le scénario du live, il faut former les élèves à la maîtrise de l'outil OBS (lancements de reportage, du générique). Et on s'entraîne : on les a presque à toutes les récréations, pas parce qu'on leur demande, mais parce qu'ils sentent la pression du live aussi. Le live a cet intérêt là : on fédère tout le monde, tout le monde est tendu. Parfois, ce n'est pas évident de gérer notre stress : on laisse faire les élèves et donc on accepte aussi l'erreur. Mais c'est un moment sympa à partager : il n’y a plus de profs, il n’y a plus d'élèves, on est tous dans la même barque.
Comment choisissez-vous les présentateurs ?
Souvent, pour le premier live, on choisit deux personnes qui sont plutôt à l'aise parce qu'on n'a pas énormément de temps pour travailler. Après ils se lancent ! On a des élèves plutôt timides, plutôt introvertis qui ont envie de se lancer, de prouver qu'ils peuvent y arriver. Et ça, c'est vraiment génial. Mais on ne forcera jamais un élève à passer. En revanche, on est tout le temps là pour les motiver en disant : on est sûr que tu es capable, tu peux y arriver.
Comment se passe la préparation des lives ?
On a plein de répétitions. La régie s'entraîne à faire les lancements : on a les présentateurs qui sont en plateau et on indique aux techniciens que, quand on baisse le bras, on donne la parole au plateau. A chaque fois, on enregistre nos répétitions, comme ça, après on les débriefe avec les élèves et ils voient de suite ce qui est bien passé à l'écran, ce qui n'est pas bien passé. Et même pour les présentateurs, c'est hyper important de voir ce qu’ils renvoient comme image.
Comment prenez-vous en compte le tchat ?
On a souvent deux ou trois élèves qui sont affectés à la tâche d'animer le tchat. On a deux modérateurs qui suppriment tous les commentaires un peu haineux, tous les bots (NDLR : logiciel automatique qui envoie des messages sur Twitch) , parce que sur Twitch il y a beaucoup de bots qui envoient des messages promotionnels, donc ça, il faut les supprimer au fur et à mesure. On a un délai de dix secondes entre le moment où le message est envoyé au modérateur et le moment où il passe vraiment sur le live, donc le modérateur a dix secondes pour bannir, enlever ou supprimer. Et on a nos responsables “retour tchat” qui sélectionnent vraiment la question, les écrivent sur un écran et les montrent aux différents présentateurs : des questions qui leur sont destinées, mais qui peuvent être aussi destinées aux personnes invitées, ce qui est beaucoup plus facile dans ces cas-là pour les animateurs.
Quelle est l’audience de vos lives ?
Je pense qu'on est aux alentours de deux cents, trois cents vues pour chaque Speed live. Ce n'est pas énorme mais c'est déjà bien, c'est suffisant. Ce n’est pas l'objectif d'être hyper connus, on n’en a rien à faire. L'objectif, c'est que les élèves soient fiers de leur production, qu'ils aient compris la démarche
Après, on a beaucoup de classes qui nous suivent en France : il n'y a qu'un seul compte à chaque fois connecté mais on a peut être entre 20 et 30 élèves derrière qui échangent avec nous.
Qu'est ce qui vous motive dans le projet Melting’Potes ?
Ce qui me plaît, c'est le travail en équipe parce que, seul, on ne peut pas le faire : il faut travailler à plusieurs, on se complète très bien, on a des caractères aussi très différents. Et on ne s’embête jamais parce que les sujets sont toujours nouveaux. On voit que nos élèves sont intéressés, passionnés par certains sujets et ils arrivent à passionner leurs camarades. Je trouve ça vraiment génial. On n'est pas dans la routine, on est vraiment dans quelque chose de dynamique et qui ne s'arrête jamais. Et chaque année, c'est un challenge parce que la classe ne choisit pas de faire classe média. On ne choisit pas nos élèves, ce n’est pas une option et on arrive quand même à faire quelque chose de plutôt sympa.
Comment avez-vous obtenu tout le matériel ?
On avait un club cinéma à l'origine qui nous a permis de débuter avec une caméra et des trépieds et j'avais acheté une caméra pour la mettre sur un ordinateur. Ça nous permettait de faire un live. Mais très vite, je me suis rendu compte que ça allait être limité. Donc j'ai monté un projet Fondation de France sur la thématique “Lutter contre l'isolement dans la cour de récréation au travers du stream de jeux de société” : l'objectif, c'était de faire jouer les élèves ensemble. Là, on a obtenu un financement de 10 000 € pour acheter un PC qui nous permette de faire du montage vidéo et on a acheté le boîtier ATEM Mini Pro et deux caméras supplémentaires. Après on a monté un projet en école ouverte parce que c'est un dispositif qu'on a en REP+ et je demandais à chaque fois un petit achat de matériel. Cela nous a permis à une époque d'acheter des micros cravates. Après il y a eu un appel à projet sur le département du Nord sur collège numérique et il fallait proposer des projets d'aménagement d'espaces autour du numérique : j'ai proposé l'idée d'avoir un studio de streaming qui ressemble plutôt à un studio vidéo de plateau télé. On a pris une ancienne classe informatique qu’on a divisée en trois espaces (plateau, régie et salle de conférence de rédaction). Mais on s'est vite rendu compte qu'il y a des choses auxquelles on n'avait pas du tout pensé : comment on communique entre les caméramans et la régie, en plein live par exemple ? Il fallait acheter des casques sans fil pour pouvoir communiquer et on l’a fait au travers de la cité éducative. Ici, c'est six ans de financement pour en arriver là. J'avais été toquer à la Fondation La Poste pour avoir un petit financement exceptionnel. C'est des dossiers à monter mais on n'a pas voulu toucher à l'argent de l'établissement, c'était une priorité. Je ne voulais pas pénaliser les autres collègues donc on a été chercher de l'argent à l'extérieur.
Est-ce que vous avez un souvenir marquant avec Melting’Potes ?
C'est le moment où on a été chercher notre prix Médiatiks à Paris parce que c'était une véritable aventure. Beaucoup d'élèves n'ont jamais été à Paris. Et voir des journalistes professionnels, visiter TF1, c'était un moment où tout le monde était fier. Le fait que nos élèves aient enfin un peu de lumière sur eux, j'ai trouvé ça hyper important et beaucoup l'ont présenté à l'oral du brevet parce qu'ils ont été fiers.
A la fin d'un live aussi : c’est dommage, on ne filme jamais ce moment-là, mais tout le monde relâche et donc on entend des cris. On a l'impression d'être dans une fête foraine ou dans un manège, ça crie dans tous les sens. Voir les élèves se prendre dans les bras, vivre un moment vraiment où ils sont tous fiers de leur travail, ça c'est vraiment chouette. On n’est plus dans des compétences EMI, mais ce sont des compétences humaines et qui sont de plus en plus rares. Et je trouve ça vraiment vraiment top.
Quels conseils pourriez-vous donner à un enseignant qui voudrait se lancer dans l’aventure du live ?
De ne pas se lancer seul. C'est assez difficile de se lancer dans un média scolaire et, certaines fois, on a des petits coups de mou. C'est important d'être à plusieurs pour gérer le travail de groupe et c'est essentiel pour sortir. Parce que faire un média scolaire, quand on reste dans un établissement scolaire, je trouve ça triste. Il faut sortir dans la rue, il faut aller à la rencontre des gens.
Il faut aussi communiquer auprès des autres collègues et ne jamais se mettre de barrière. Il faut tout le temps se dire : allez, visons très très haut pour nos jeunes et on voit à la fin ce qu'il y a. Il faut avoir de l'ambition pour eux et il faut que nous, on soit ambitieux aussi dans nos objectifs pédagogiques, vraiment pas de limites. A plusieurs, on peut faire plein de choses et nos élèves ont plein de compétences. Sans les élèves, Twitch n'existerait pas en classe média. Ce sont mes élèves qui m'ont appris à faire de la modération. Ce sont mes élèves qui m'ont donné, certaines fois, l'énergie nécessaire pour avancer. Quand on avait des difficultés techniques, ils sont venus m'aider. On est toute une équipe dans une classe média et il faut vraiment qu'on avance en équipe. On est tous ensemble, il faut avancer tous ensemble.
Propos recueillis par Maud Moussy et François Rose, le 9 avril 2024