Documenté. «Que pensez-vous des candidats? Comment la population vit-elle ces élections? Quelles conséquences aura cette élection?» C’est en posant ces questions à trois citoyennes américaines que la rédaction du 144 s’est informée sur les élections présidentielles aux États-Unis dans le numéro paru en décembre 2020. Des interviews éclairantes pour comprendre le vécu de certains Américains quelques mois avant le scrutin.
Pratique. «Anticiper», «prévoir toujours deux minutes de marge», «organiser», utiliser la «communication non-verbale»: les conseils donnés par Le 144 pour réussir un oral sont concrets et pertinents. Quand les lycéens parlent aux lycéens, les propositions s’avèrent utiles et précieuses. À lire ici.
Sensible. Dans la rubrique “Coups de cœur”, le manga Solanin de Inio Asano est analysé avec beaucoup de finesse. Après un résumé efficace, Le 144 souligne le principal atout du livre: «l’identification aux personnages». Le manga permet ainsi au lecteur de projeter ses propres émotions et questionnements : «La peur d'une routine d'adulte et d'un avenir ennuyant, n'est-ce pas ce que tous les adolescents craignent?», s’interroge la jeune journaliste.
Quelle est l’histoire de ce journal?
J’ai repris le journal Le 144 il y a maintenant trois ans. Il me semble qu’il existe au moins depuis une quinzaine d’années au lycée. Il s’appelle Le 144 en référence aux 144 marches que montent les professeurs et les élèves pour se rendre au lycée Jean-Pierre Vernant.
Quelle est sa ligne éditoriale?
Il y a une grande partie qui est axée sur la vie lycéenne: des expositions, des écrivains qui vont venir pour faire une conférence, des artistes… On a aussi une rubrique “Actualité”: l’année dernière, les élèves y ont beaucoup parlé des élections présidentielles aux États-Unis, des Ouïghours, de la mort du prince Philip en Angleterre. La rubrique ''Culture" a été moins travaillée à cause du contexte sanitaire que nous connaissons tous. Par contre, on a une rubrique qui marche beaucoup, c’est la rubrique “Coups de cœur”, qui est une rubrique très libre. Quand j’ai repris le journal, je souhaitais que les élèves parlent vraiment de ce qui les intéresse, c’est très important. Quand je vois qu’ils n’ont pas trop d’inspiration, d’idées, je les guide un peu, mais sinon je souhaite que ce soit très libre. La rubrique “Coups de cœur” marche très bien parce que les élèves vont nous parler beaucoup des mangas qu’ils ont lus, des animes qu’ils ont regardés, de livres, de musique. L’an dernier, il y a eu une chronique sur un livre de littérature jeunesse, La Faucheuse de Neal Shusterman : l’élève avait eu un tel coup de cœur qu’on a acheté l’ouvrage pour le CDI.
Comment fonctionne le journal?
Nous sortons trois numéros par an, un en décembre, un en mars et un en mai-juin, juste avant les vacances. Comme ça les élèves ont le temps. Ils travaillent beaucoup en autonomie, c’est-à-dire que nous organisons en général deux ou trois réunions avant la parution du journal et là on va mettre les choses en place, on va faire le choix des rubriques, le choix des articles, leur donner aussi des conseils de rédaction, surtout en début d’année. Ensuite, ils sont autonomes. Nous échangeons beaucoup par mail et aussi sur un Drive: tout le monde peut avoir accès aux documents et informations tout le temps, comme par exemple les compte-rendus de réunions que je mets en ligne pour les élèves qui n’ont pas pu venir. Cette année, on a eu beaucoup de nouveaux inscrits. D’habitude on est à une dizaine, là on a 28 inscrits. À la première réunion de l’année, les élèves expliquent s’ils ont déjà des envies, les anciens leur disent sur quoi ils ont l'habitude de travailler. S’ils ont des propositions de nouvelles rubriques, c’est ouvert.
Comment assurer la continuité et la transmission entre les équipes, d’une année sur l’autre?
Les élèves ont un groupe Whatsapp, je ne suis pas dessus. Cela leur permet de discuter entre eux et d’avoir une parole assez libre. Grâce à ce groupe, ils apprennent à se connaître, notamment les secondes et les terminales.
Le journal amène-t-il de la cohésion dans le lycée?
Oui. Il y a 1600 élèves au lycée, 2000 avec le post-bac, répartis sur deux sites différents. Les élèves ne se mélangent pas forcément et ne se rencontrent pas aussi facilement. Je pense que grâce au journal, il y a des relations qui se créent.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de reprendre ce journal quand vous êtes arrivée?
Je n’avais jamais travaillé avec un journal scolaire dans mes autres établissements. Les collègues que j’ai remplacées avaient fait un super travail. Tout était carré: le nom, le logo, la charte graphique du journal… J'avais juste à suivre la marche. Je ne suis pas partie de zéro. J’avais également des élèves en première et en terminale qui étaient dans le journal les années précédentes. Elles m’ont aussi beaucoup aidée.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce projet?
C’est le fait de laisser la parole aux élèves, qu’ils puissent travailler vraiment sur les sujets qui les intéressent. C’était ça qui m’intéressait, cette liberté-là. Et de pouvoir échanger dans un autre cadre que lors de séances pédagogiques avec des collègues, ou lorsqu’ils viennent travailler en autonomie en CDI, parce que là on apprend à se connaître, on a une autre relation, qui est totalement différente. C’est enrichissant parce qu’on a un autre regard sur les élèves et ça permet, même si c’est un journal scolaire, de sortir du cadre du lycée dans nos conversations. On est d’égal à égal, même si je suis la professeure et eux des lycéens, souvent j’ai l’impression d’être face à des adultes avec qui je pourrais discuter des actualités, des dernières expos… C’est une relation différente, je pense, et enrichissante, même pour eux, enfin, je pense.
Vous avez le souvenir d’un moment où votre travail avec eux sur le journal les a aidés, a changé quelque chose?
L’année dernière, j’ai une élève qui avait rédigé un article, mais de manière anonyme. J’ai parfois des demandes en ce sens. C’est une élève qui venait d’un autre pays et qui racontait le regard qu’elle avait, elle, en tant qu’étrangère en France, vis-à-vis de sa relation avec les autres. Pour elle, rédiger cet article, ça a été un exutoire, elle a lâché tout ce qu’elle ressentait. L’année d’avant, par rapport à la réforme du lycée, les élèves avaient témoigné. C’était une année assez compliquée pour eux, ça leur a fait du bien. Comme ils ne sont pas obligés de signer leurs articles, ça permet de libérer cette parole, parce qu’ils ne seront pas jugés, tout en restant bien sûr dans le cadre. Ils peuvent parler de tout ce qu’ils veulent sans se sentir montrés du doigt.
Quels sujets les intéressent?
On a eu un super article sur l’histoire du masque. J’ai deux élèves qui avaient rédigé un article ensemble sur la gestion du covid-19 dans les lycées aux États-Unis, elles ont comparé comment le lycée était organisé aux États-Unis et en France. On a une rubrique qui s’intitule “Création originale”, où les élèves écrivent des nouvelles, des poésies. Et là on a un élève qui s’est révélé, il nous a fait une vraie bande dessinée! Le journal permet de révéler des talents, beaucoup d’élèves ont des dons. Et comme on est dans un lycée avec des filières artistiques, c’est intéressant de mettre le travail des lycéens en avant par ce biais-là.
Pourquoi les élèves s’intéressent-ils autant au sujet des Ouïghours?
Je pense que ce qui les a touchés, c’est qu’on n’en a pas beaucoup parlé dans les médias dits traditionnels et, sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram, des personnalités avaient alerté sur la situation des Ouïghours en postant un fond bleu sur leur compte. Les élèves avaient remarqué ça, ils ont découvert les Ouïghours grâce à cela, parce que c’est vrai qu’on n’en parlait pas beaucoup autour. C’est ce qui les touche. Et le fait que les pays autour ne fassent pas grand-chose, que rien n’ait évolué. De manière générale, les minorités sont un sujet qui touche les élèves. L'article est à lire ici.
Comment se passent la mise en page et le bouclage?
Lors de la première réunion, on essaie de diviser les tâches (journaliste, photographe, illustrateur). A chaque fois je demande si des élèves sont volontaires pour participer à la mise en page, que je réalise sur le logiciel gratuit Canva. L’année dernière, Rose, la rédactrice en chef, m’a un petit peu aidée, mais sinon je la réalise toute seule. Je demande aussi de l’aide dans la relecture, ma collègue professeure documentaliste et une personne de l’administration relisent. C’est aussi un travail d’équipe. Mais c’est vrai que quand on boucle le numéro, on a du travail, c’est un peu stressant, on veut que ce soit sorti à temps. Corriger et mettre les articles en page, ça prend au moins deux semaines quand on veut que ce soit bien fait.
Quel est son modèle économique?
Avant, on le vendait 50 centimes pour financer les ramettes de papier pour l’imprimer. Sauf que depuis l’année dernière, il s’est très mal vendu. Par contre, deux numéros sont sortis pendant le confinement via notre ENT et j’ai eu beaucoup de retours, de parents et de collègues, qui trouvaient que c’était bien aussi de le lire de cette manière-là. Je pense que c’est mieux maintenant de le numériser tout en l’imprimant quand même pour nos élèves, parce qu’ils ont une certaine fierté à le montrer à la maison à leur famille et avoir une trace au lycée. Mais je pense qu’à l’avenir on va arrêter de le vendre et on le mettra au format numérique via Calaméo pour ensuite le mettre sur notre ENT.
Quel est votre meilleur souvenir avec le journal?
Au mois de juin dernier, on a fait notre dernière réunion au parc de Saint-Cloud, il faisait beau. Là aussi, ça a libéré la parole, on n’était plus du tout dans un cadre scolaire, ça a permis de faire le bilan, chacun a donné son avis et son ressenti sur l’année passée. C’était un très bon souvenir. L’année dernière, on avait organisé une journée en visio, et j’avais bien aimé ce moment-là aussi, on n’était pas ensemble mais tout le monde était présent, on sentait que les élèves avaient envie d’échanger, tout le monde a pris la parole, et ça changeait aussi du quotidien.
Auriez-vous un conseil simple pour des enseignants qui veulent se lancer dans l’aventure du média scolaire ?
De ne pas avoir peur de se lancer justement, parce que même si c’est du travail, c’est toujours enrichissant d’avoir une relation différente avec les élèves et ça permet de créer un autre lien, qu’on n’aurait pas sans le journal je pense. On n’en tirera que du positif. Et c’est vrai que quand le numéro sort et qu’on l'imprime, on est contents, on est fiers de nous et des élèves, on a fait un projet tous ensemble.
Propos recueillis par Sophie Gindensperger le 1er octobre 2021