La prolifération des « fausses informations » ou « infox » sur les réseaux sociaux a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Accusées d’avoir influencé le vote des électeurs lors de scrutins au Royaume-Uni et aux États-Unis, elles ont suscité craintes et indignations. La désinformation sur internet n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Que se cache-t-il réellement derrière les fake news ?
Par Romain Badouard, maître de conférences, Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaires sur les médias, Institut français de presse, université Paris 2 Panthéon-Assas
Dans un grand nombre de pays, les réseaux sociaux sont dorénavant une des principales portes d’entrée des internautes vers l’actualité, et même la première source d’information des 18-25 ans, tout média confondu. Or, les réseaux sociaux, et Facebook en particulier, n’ont pas été conçus pour diffuser des informations d’actualité. Fonctionnant selon des logiques affinitaires, ils redéfinissent le rapport aux sources : sur Facebook, on fait davantage confiance à la personne qui a partagé une information qu’à la source elle-même. Cette logique pousserait par ailleurs les internautes à s’enfermer dans des « bulles idéologiques », où seraient portées à leur connaissance des informations qui les confortent dans leurs opinions (car partagées par leurs amis les plus proches). C’est dans cet « écosystème informationnel » bien particulier que se répandent les « fausses informations ».
Une autre particularité du phénomène des fake news a trait à l’industrialisation de la production des rumeurs politiques, elle-même portée par les modèles économiques des réseaux sociaux. Les grandes entreprises du web génèrent des revenus via la publicité qu’elles hébergent : plus les internautes passent de temps à utiliser leurs services, plus ils sont exposés à de la publicité et plus elles gagnent de l’argent. Dans ce contexte, les fake news constituent des contenus particulièrement « engageants », c’est-à-dire qu’ils captent l’attention des internautes et les font réagir. Les grandes plateformes ont ainsi pu être accusées de promouvoir des fausses informations et des contenus complotistes via leurs algorithmes* de recommandation, afin de générer davantage de revenus publicitaires. C’est par exemple le cas de YouTube Kids, service pourtant destiné aux enfants à partir de 4 ans. Les réseaux sociaux peuvent également constituer des courroies de transmission pour des producteurs de « fausses informations » qui cherchent à toucher un large public. Lors de la campagne électorale américaine de 2016, le média Buzzfeed s’est ainsi rendu compte que près d’une centaine de sites diffusant des fausses informations pro-Trump avaient été créés par des adolescents en Macédoine. En hébergeant de la publicité sur leurs propres sites et en utilisant Facebook pour cibler certains publics aux États-Unis, ils ont fait venir en masse des internautes américains sur leurs sites et générer des revenus conséquents.
Dernière spécificité du phénomène : l’utilisation des fausses informations à des fins de propagande politique, notamment de la part des blogosphères d’extrême droite. Aux États-Unis comme en Europe, les fake news sont en effet très marquées idéologiquement. Lors de la campagne présidentielle française de 2017, par exemple, des fausses informations affirmant que les célibataires devront accueillir des migrants chez eux, qu’Emmanuel Macron compte supprimer les allocations familiales ou que les jours fériés chrétiens seront remplacés par des fêtes musulmanes ont été partagées sur Facebook (plusieurs centaines de milliers de fois pour certaines). Dans ce cadre, partager une fausse information revêt une dimension politique où, même sans y croire, les internautes cherchent à exprimer une critique des institutions politiques et médiatiques ou à affirmer leur appartenance à une communauté idéologique .
L’ampleur du phénomène des fake news est donc avant tout liée à un climat de défiance politique très présent dans de nombreuses démocraties occidentales. Dans ce contexte, l’éducation aux médias, parce qu’elle propose une réflexion de fond sur la valeur de l’information, tout en s’adressant à un public particulièrement exposé, constitue une partie importante de la réponse. Mais elle doit aussi s’adapter aux caractéristiques des nouveaux environnements informationnels : intégrer une dimension économique pour comprendre comment le fonctionnement du marché publicitaire en assure la promotion, enseigner la description des infrastructures techniques (comme les algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux) et éduquer au débat pour montrer comment les mécanismes d’appropriation des informations sont dépendants des contextes sociaux.