Par Fanny Morange, coordinatrice à la Délégation éducation et société, Réseau Canopé
Difficile de se repérer, en tant que parent, parmi toutes les préconisations qui ne font nullement consensus dans le monde scientifique. À l’heure où l’addiction aux jeux vidéo est désormais reconnue comme une maladie, au même titre que l’usage de produits illicites, par l’Organisation mondiale de la santé, où les débats battent leur plein sur le lien de causalité entre surexposition précoce aux écrans et troubles autistiques, faut-il proscrire tout simplement cette « bonne vieille nounou cathodique » et autres substituts ?
D’après le rapport 2017 de la Santé publique, les enfants passent, en moyenne, 4 h 11 min par jour devant les écrans, bien plus que les temps recommandés par les spécialistes du sujet. En effet, le psychiatre Serge Tisseron proscrit un temps d’écran supérieur à 1 h 30 min par jour pour les enfants de 3 à 5 ans et 2 heures pour les plus de 6 ans et recommande la règle du « 3-6-9-12 ».
Le neuroscientifique Michel Desmurget, plus alarmiste, note des effets délétères dès 30 minutes. Quant à l’Académie américaine de pédiatrie, elle déconseille la télévision avant 18 mois et préconise que les jeunes enfants ne la regardent pas plus d’une heure par jour. Une récente étude montre en effet que les enfants qui passent plus de 2 heures par jour sur les écrans auraient de moins bonnes capacités cognitives que ceux dont l’exposition est plus limitée : mémoire, réactivité ou concentration seraient altérées. Plus précisément, 2 heures de télévision quotidiennes aboutiraient à multiplier par trois la probabilité de voir apparaître des retards de développement de langage chez les enfants de 15 mois à 4 ans. Pourtant, une utilisation raisonnée des écrans, qui respecterait quelques préceptes simples, serait bénéfique : innovation, coopération, capacité d’anticipation… Le jeu vidéo pourrait même améliorer les résultats des adolescents en sciences, au contraire du temps passé sur les réseaux sociaux…
Outre une limitation nécessaire du temps dévolu aux écrans, la psychologue Sabine Duflo développe, quant à elle, une méthode inspirée des recommandations de l’Académie américaine de pédiatrie, celle « des 4 pas », pour mieux gérer ce temps et permettre à l’enfant de développer des compétences essentielles (activités sensori-motrices, jeux de faire semblant, jeux symboliques, graphisme), nécessaires au développement de sa pensée, de son attention, de sa socialisation, que n’autorisent pas toujours les écrans. « Avant 3 ans, l’enfant se construit en agissant sur le monde : la télévision risque de l’enfermer dans un statut passif de spectateur à un moment où il doit apprendre à devenir acteur du monde qui l’entoure », rappelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
L’attention est essentielle pour les apprentissages scolaires. Or, les écrans (TV, jeux vidéo, portable…) surstimulent l’attention non volontaire et épuisent l’attention de l’enfant au bout de 15 minutes. Un enfant qui regarde un écran le matin est capté par les stimuli visuels et sonores ultrarapides de l’écran ; ceux-ci fatiguent son système attentionnel avant d’arriver en classe. Un enfant dont l’attention est épuisée est un enfant qui bouge, qui parle, qui fait tomber ses affaires… et qui ne parvient plus à se concentrer ! Cela peut avoir des conséquences sur ses apprentissages.
La télévision allumée durant les repas familiaux empêche votre enfant de vous parler et vous lui parlez moins. L’interaction, l’échange sont pourtant indispensables à son développement tant langagier que social. Le contenu anxiogène de certains programmes (en particulier le journal télévisé) peut également avoir des répercussions sur le comportement et la gestion des émotions de l’enfant (cauchemars, agressivité…), même s’il est souvent trop jeune pour comprendre la complexité de la réalité. Le journal télévisé est ainsi déconseillé aux moins de 8 ans au profit d’un programme jeunesse sans accompagnement ou explications.
Le sommeil se forme avec les dernières images perçues. Il sera de moins bonne qualité si on regarde un écran avant de s’endormir, car l’image animée, même adaptée, n’est pas une activité calmante pour le cerveau de l’enfant. Elle est trop stimulante émotionnellement.
L’écran diffuse une lumière bleue (LED) qui inhibe la sécrétion de la mélatonine, hormone régulatrice du sommeil, empêchant l’enfant de s’endormir naturellement. De nombreuses applications et logiciels – QualityTime, Moment, Temps d’écran – permettent, à présent, d’analyser le temps passé devant son smartphone, tablette ou ordinateur et d’imposer (ou s’imposer) des limites : blocage des applications et jeux après un temps défini, messages des contenus, statistiques d’utilisation, etc. On peut également paramétrer sa box ou sa console de jeux pour un arrêt durant des plages horaires précises. Ainsi, le temps de sommeil peut être privilégié.
Une étude de l’Institut national du sommeil et de la vigilance révèle que 88 % des jeunes de 15 à 24 sont en manque de sommeil et dorment ainsi moins de 7 heures contre les 8 recommandées. En cause, l’hyper-connexion. Une fois couchés, plus de 8 jeunes sur 10 passent en moyenne 1 h 08 min essentiellement sur les écrans, avant d’éteindre la lumière et 1 h 38 min le week-end… Le rapport préconise de respecter un véritable « couvre-feu digital » une heure avant le coucher.
Avec la télévision, l’ordinateur ou la tablette dans la chambre de l’enfant, les parents n’ont pas la possibilité de contrôler l’usage qu’en fait leur enfant. Si les parents se limitent à une seule interdiction verbale et comptent sur leur enfant pour qu’il choisisse lui-même des contenus adaptés dans un temps restreint, ils risquent de lui conférer une trop grande responsabilité pour son âge. Un enfant est souvent en difficulté pour juger la valeur d’un contenu audiovisuel comme pour évaluer son impact psychologique et sa durée effective. L’interdiction verbale doit donc s’accompagner d’actes (installation de logiciels de contrôle parental, restriction d’accès aux écrans, durée, horaires, etc.).Une étude a également montré que la présence d’écrans dans la chambre diminuerait le temps de lecture, de sommeil mais aussi des activités familiales. Ces enfants seraient enfin plus enclins à des comportements violents. Mettre en place ces quatre temps sans écrans dès aujourd’hui, c’est prendre soin de votre enfant afin qu’il développe au mieux son langage, sa pensée, son imagination, sa capacité à être seul, son autonomisation, la distinction entre le réel et le virtuel. Préserver des temps sans écrans pour privilégier d’autres activités récréatives et sociales (sport, amis…) aurait également des conséquences sur le bien-être de l’enfant. Selon une enquête réalisée par le ministère de la Santé britannique, les enfants qui passent trop de temps devant les écrans seraient plus anxieux et plus déprimés que les autres : « Au-delà de quatre heures par jour, le risque de voir apparaître des problèmes émotionnels et une mauvaise estime de soi seraient notamment considérablement accrus. »