Les chaînes de télévision ne peuvent pas avoir des journalistes partout dans le monde en permanence. Comment faire alors pour couvrir l’actualité internationale? En plus des correspondants locaux, elles ont recours à la mutualisation, et de plus en plus aux services vidéo des agences de presse.
Même si l’actualité internationale n’est plus au cœur de la plupart des journaux télévisés, comme le montrent les différents rapports d’Ina STAT, elle fait chaque jour l’objet de reportages tournés dans le monde entier, en fonction des événements. Or, les chaînes de télévision ne peuvent pas être présentes partout au moment où les événements ont lieu. Si certaines chaînes ont encore des correspondants en poste localement, ceux-ci couvrent souvent des zones trop importantes pour être réactifs à l’actualité immédiate. La plupart des chaînes de télévision ont donc recours à des partenaires extérieurs pour leur fournir images et informations en provenance du monde entier.
On distingue deux canaux principaux : les réseaux d’échange d’images, qui se font plus particulièrement avec des chaînes de télévision étrangères, et les agences de presse qui produisent des images et les vendent aux chaînes.
Longtemps, ce marché international des images a été dominé, au moins en Europe, par un système de coopération sans but commercial entre les chaînes publiques : les échanges d’actualités de l’Union européenne de radio-télévision, fondée en 1950, appelée Eurovision News (EVN) en France. Au travers d’alliances avec d’autres regroupements similaires et grâce aux bureaux étrangers des chaînes participantes, ce réseau permet de couvrir une bonne partie du monde. « On est abonné-contributeur. Plus on contribue, moins c’est cher. Quand les sujets qu’on offre sont repris, ça fait une sorte de prime », explique Christophe Nardini, journaliste à France Télévisions. Certaines chaînes privées ont aussi pu y être affiliées, ainsi que des agences de presse. Par ailleurs, ce type de regroupement existe aussi pour les chaînes commerciales, à l’image d’ENEX, dans lequel on trouve par exemple CBSNews, SkyNews, mais aussi M6 ou BFMTV.
Dans son article L’internationale des images (Actes de la recherche en sciences sociales, Le Seuil) publié en 2002, Dominique Marchetti notait au sujet de ce réseau que « comme dans d'autres institutions internationales, le poids politique des différents membres dans les échanges, qui tend, en grande partie, à se mesurer à leurs contributions financières, est très variable. Dès la création et le développement de cette bourse d'échanges, les "petits pays" (Suisse, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark et aujourd'hui les pays autrefois affiliés à l'organisation des radiodiffuseurs d'Europe de l'Est), traditionnellement plus tournés vers l'étranger, ont été les principaux bénéficiaires des échanges d'actualités. En revanche, les plus gros contributeurs, c'est-à-dire les chaînes des "grands pays" (Allemagne, France, Grande-Bretagne notamment), sont les principaux pourvoyeurs de sujets pour les échanges d'actualités. »
La chaîne TF1 a, de son côté, choisi de quitter l’UER en 2017, un service alors estimé trop coûteux par rapport à l’usage réel. « Aujourd’hui, il y a un mouvement de fond où toutes les chaînes de télévision redéfinissent leurs budgets et leurs besoins en termes d’images internationales », explique Joëlle Dray Kaisermann, Cheffe de service Échanges Internationaux de TF1-LCI. De plus en plus, ce sont les agences de presse qui prennent ce rôle de fournisseur d’images, en échange d’un abonnement payé par les chaînes. Une évolution déjà remarquée par Dominique Marchetti en 2002, qui estimait alors que « le renforcement de la position des agences tient tout d'abord à l'accélération du rythme de production des télévisions abonnées, et tout particulièrement des chaînes d'information en continu qui réactualisent en permanence leurs journaux. » Les chaînes de télévision ont des équipes qui récupèrent ces images, qui arrivent non commentées, brutes, avec des séquences assez longues, à partir desquelles il sera plus aisé de refabriquer des sujets. « Les chaînes sont clientes, elles achètent le droit d’utiliser ces images. Elles sont accompagnées d’un document précis qui donne la date, le lieu, le nom des intervenants, le contexte et la traduction en anglais », ajoute Joëlle Dray Kaisermann. Elles offrent aussi, lors d’événements importants, des flux d’images en direct.
Trois agences se partagent le marché de la vidéo : l’Américaine APTV, la britannique Reuters et la française AFPTV. « L’offre d’images internationales aujourd’hui est plus fragmentée, il y a plus de choix », confirme Juliette Hollier-Larousse, directrice de l’AFPTV, qui estime que 80% des images fournies par l’AFPTV sont tournées à l’international, le reste étant tourné en France. Ce service de l’AFP est aujourd’hui un partenaire privilégié de France Télévisions. « Elle permet d’avoir un prisme franco-européen sur les sujets qui peuvent être tournés à l’international. Les autres agences ont un prisme plus anglo-saxon», explique Christophe Nardini.
Comme le notait Dominique Marchetti en 2002, la diversité de l’offre des chaînes, rendue possible par des moyens techniques de plus en plus performants, et l’uniformité croissante des images qui circulent sur le marché international, ont quelque chose de paradoxal. « On n’utilise qu’une infime part des images à notre disposition », analyse Christophe Nardini, qui estime que les images d’agence occupent entre 5 et 10% des images d’un JT. « Mais on utilise souvent tous les mêmes, parce qu’on veut garder les images fortes. Souvent, ce sont des images liées à un bref instant, potentiellement prises par l’un des intervenants ».
Car c’est là le nouveau rôle endossé par les agences. Plus encore qu’un maillage de territoire, celles-ci prennent de plus en charge la vérification des images tournées par des amateurs, afin de les sourcer et de s’assurer de leurs droits de diffusion. Certaines agences se sont mêmes spécialisées sur ce créneau, à l’instar de Storyful, propriété de News Corp, le groupe de Rupert Murdoch.
Sophie Gindensperger, journaliste et cheffe de projet au CLEMI