Les stéréotypes sexistes influencent également considérablement les orientations scolaires puis professionnelles des élèves. Une collégienne de 5e du Collège Reynerie-Raymond Badiou de Toulouse l’écrit dans son article Le rêve de Karima(2014) : “J’aimerais bien être comme Sandrine Soubeyrand, Capitaine de l’équipe de France de football féminin sans peur et sans reproche, stratège jusqu’au bout des ongles. J’aimerais être aussi brillante que Marie Curie qui a créé l’institut du Radium. Mais bon, j’hésite car ma conseillère d’orientation me verrait bien coiffeuse, esthéticienne ou infirmière.”
Dans les lycées professionnels, les spécialisations sont très genrées. Très peu de filles s’orientent dans les filières du bâtiment, comme le souligne cet article de 2017 du lycée André Cuzin de Caluire, Etre une fille dans un lycée du bâtiment, un exercice de style. Tout comme dans les filières du bois : “Nous sommes en classe de troisième et de quatrième au Lycée des Métiers du Bois d’Envermeu (76), et nous avons des cours de scierie, de forêt et de construction bois. Dans ces domaines spécialisés, il n’y a aucune femme enseignante. Dans notre lycée, il y a trois filles sur 230 élèves : une en troisième, une en CAP construction bois et une en bac pro technicien construction bois.” Métiers du bois : où sont les femmes ? a été réalisé par le lycée des métiers du bois et de l’éco-construction d'Envermeu. En 2021, cette problématique de l’absence de mixité dans certaines filières est traitée dans la vidéo Les stéréotypes ont la peau dure (2021) par des élèves du lycée des Métiers Magenta de Villeurbanne (filière secrétariat médical, métiers de l’accueil, etc) où l’on ne retrouve quasiment que des filles. “Cela tient à la particularité du lycée d'accueillir des structures de formations tertiaires qui sont plutôt dites féminines”
Face à cette réalité, les élèves proposent régulièrement des interviews et des portraits de femmes qui réussissent dans des domaines traditionnellement considérés comme masculins, et inversement. Ainsi l’article de 2017 du Lycée Villon de Beaugency, Les métiers destinésau titre très parlant, présente un assistant maternel et une responsable transport.
L'INTIME ET LE CORPS À L'ÉPREUVE DES DISCRIMINATIONS
Le corps, et en particulier celui des filles, est sujet à de nombreuses injonctions et violences, qui impactent leur estime d’elles-mêmes. Les vêtements et l’apparence physique font partie de la construction identitaire notamment dans le passage de l’enfance à l’adolescence. En 2016, après avoir constaté que seuls les garçons venaient en jogging au lycée, des lycéennes du lycée Marcelin Berthelot de Questembert, ont décidé elles aussi d’en porter et d’analyser les réactions. Elles expliquent leur expérience dans leur article filles en jogging à quoi ça rime. Elles ont été jugées tant par les garçons que par les filles, avec des remarques telles que « Aucune meuf peut se mettre en jogging sauf des moches ». Elles en ont conclu que “l’élégance vestimentaire est un critère dans le rôle social de la femme. Ainsi a pu s'en rendre compte Cécile Duflot en juillet 2012 quand elle arriva à l'assemblée nationale vêtue d'une robe printanière et non en « tailleur » tel que l'impose la panoplie de la ministre. Sifflée par les députés masculins , on lui a rapidement rappelé le « rôle » qu'elle avait à tenir. On peut ainsi penser que l’homme peut se permettre plus de chose que la femme : dans notre cas, porter un jogging sans être jugées.” En 2021, la question de l’identité vestimentaire est revenue en force dans plusieurs productions revendiquant le droit pour les filles de s’habiller librement, avec la polémique des crop-tops : Je porte ma jupe comme je veux ou encore Tenues lycéennes.
L'épilation représente une autre injonction que subissent les filles, dénoncée par deux lycéennes du lycée Saint-Paul de Lille, en 2018 dans leur article Pile Poil: “de nos jours rares sont les filles qui ne s’épilent pas et qui n’ont pas honte de leurs poils. (...) C’est une grande partie des jeunes de 14 à 18 ans qui s’épilent par peur des avis des autres lycéens. Mais n’oublions pas l’influence que la mode, les magasins, les pubs apportent.”
Entre tabou, douleur et précarité, les menstruations sont un poids très lourd pour les jeunes filles, notamment à l’école. En 2021, le sujet a considérablement intéressé les élèves. Le lycée Sarda Garriga à Saint-André de La Réunion a par exemple mené un projet d’envergure pour casser ce tabou. Les élèves ont regroupé toutes leurs initiatives dans leur productions Les filles et les garçons chamboulent les règles. Un groupe d’élèves a œuvré pour aider les filles à mieux vivre les règles en faisant des affichages dans les toilettes tout en y proposant des serviettes hygiéniques à disposition. Ils ont également créé une mini-entreprise de fabrication de serviettes réutilisables et ont mené tout un projet de communication pour faire connaître leur initiative.
D’autres productions se sont intéressées à la violence que peuvent engendrer toutes ces injonctions sur les filles. En 2018, des élèves lauréats ont conçu un journal entier dédié aux discriminations sexistes reprenant le modèle du journal le Un et intitulé Le 2. La Une met en lumière de manière frappante les conséquences des stéréotypes sexistes avec le dessin d'une femme baillonée et insultée. Dans la même lignée, une affiche de 2012 du collège La Pléiade de Sevran, intitulée, représente une jeune fille subissant des insultes. Ces violences se répercutent évidemment dans les relations intimes entre les filles et les garçons comme ont voulu le représenter des lycéens du lycée André Sabatier de Bobigny dans le film Une soirée tranquille. Dans cette fiction, ils ont mis en scène un couple dans lequel le garçon cherche à contrôler le corps de sa copine en dévalorisant la façon dont elle est habillée et en l'insultant, puis en lui interdisant de sortir.
Les violences sexistes peuvent mener à des violences conjugales voire à des féminicides. En 2021, des élèves du Collège Chantenay à Nantes se sont intéressés à un collectif qui fait des collages féministes sur les murs de Nantes dans leur podcast Les colleuxses, Cette production entre en résonnance directe avec l’actualité et le développement du terme féminicide pour parler d’un meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme.
DÉCONSTRUIRE LES STÉRÉOTYPES PAR LA PRATIQUE MÉDIATIQUE POUR DÉVELOPPER UNE CULTURE DE L'ÉGALITÉ FILLES-GARÇONS
Les productions reçues dans le cadre du concours #ZéroCliché forment un corpus très riche, qui rend compte de la diversité des problématiques rencontrées par les élèves et témoigne de la mobilisation des enseignants.
L’éducation aux médias et à l’information se révèle ainsi une « réponse adaptée pour lutter efficacement contre les discours discriminants”, qui permet «une prise de distance critique vis-à-vis des messages médiatique » en proposant aux élèves de « créer eux-mêmes des médias et des contenus où des opinions divergentes peuvent s’exprimer?»3 analyse Laurence Corroy, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication.
De son côté, Elisabeth Carrara, inspectrice générale (Plan National de Formation 2021), souligne que l’éducation aux médias et à l’information est une approche innovante qui permet de dépasser le constat de l’existence des stéréotypes pour agir concrètement. Au-delà de la valorisation de l’expression des élèves, les projets interdisciplinaires en EMI sont créateurs de liens et d’une dynamique positive dans l’établissement.
Sur la question de l’égalité, le CLEMI s’engage toute l’année à travers une offre de formations et la production de ressources pédagogiques. Le CLEMI est notamment fier d’avoir participé à la conception du dossier pédagogique de la série d’animation Chouette Pas Chouette. Fille ou garçon, c'est plus chouette quand on se respecte, à l’initiative de la fondation Make.org et produite par 2 Minutes en coproduction avec Gaumont. Pensée pour questionner avec humour et intelligence l’influence des stéréotypes dans la vie des enfants, la série a été diffusée sur l’ensemble des chaînes jeunesse et est disponible sur le site du CLEMI.
Virginie Sassoon, directrice adjointe
Flora Rodriguez, cheffe de projet #ZéroCliché