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En 2020, Edouard Elias, photographe qui couvre depuis dix ans l’actualité au Moyen-Orient, en Afrique, en France et en Europe de l’Est, intervient auprès des élèves de 3e du collège Stephen Hawking de Fleury-sur-Orne (académie de Normandie). Géraldine Coquet, professeure d’histoire-géographie, a reçu Edouard Elias dans sa classe. Ils nous racontent leur séance ensemble, “une construction mutuelle”.

Interview croisée

Edouard Elias, vous êtes photographe, reporter, pourquoi intervenez-vous auprès d’élèves ?

Edouard Elias : Dans mon métier, le but est d’informer le public de ce qui peut se passer dans l’actualité (la guerre, les drames sociaux, économiques ou toute autre situation tant que ce sont des histoires à raconter par la photographie). Au début de ma carrière, mes images allaient dans la presse, elles étaient données à des éditeurs, à des rédactions qui les publiaient et, souvent, je ne voyais même pas le résultat, le fruit de mon travail. Je ne connaissais pas le public qui voyait mes images. Je ne pouvais pas échanger avec lui, je ne pouvais pas lui donner plus de contextes ou d'explications. Le fait de travailler dans des classes, en direct avec le public qui pour moi est le public le plus important, c’est-à-dire les jeunes générations, celles qui voteront demain, celles qui ont besoin d’être éclairées sur le monde, sur ce qui se passe, pour comprendre comment ils vont vivre dans leur pays, c’est primordial. Donc cela fait partie intégrante de ma démarche photographique dès le départ. Je sais que mes images vont être montrées dans des journaux, dans des expositions, dans des musées mais aussi auprès de jeunes générations. Et c’est important, dans mon boulot, de réfléchir à ça, de savoir comment expliquer ce qui se passe dans le monde à des gens qui n’ont pas encore les clés pour le comprendre.

Depuis combien de temps faites-vous cela? Comment se déroulent vos interventions ?

Edouard Elias : J’ai commencé à intervenir avec le prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre il y a cinq ou six ans, assez régulièrement, beaucoup en région Normandie parce que ce sont des classes qui ont déjà à disposition des éléments pédagogiques. Cela peut être aussi d’autres établissements qui ne sont pas au courant de ce prix.

Il y a plusieurs types d’interventions. Cela peut être juste avec une classe sur une demi-journée : je leur parle du métier, je leur montre des photos en projection, on travaille autour de l'actualité, bien sûr de l’éducation à l’image, de l’éducation aux médias. Comment est-ce qu’on s'informe? Où va-t-on trouver l’information? Comment peut-on voir qu’une image a pu être réutilisée, sortie de son contexte, etc.? Sinon j’offre aussi un autre type d’intervention plus longue, sur des résidences. Là j’amène un laboratoire de photographie argentique et je permets aux élèves de tirer des images : soit leurs propres photos, qu’ils ont eux-mêmes produites, soit des photographies que j’ai réalisées pour, par exemple, préparer une exposition. Ainsi, des élèves ont pu présenter à leurs parents une exposition de mon travail et chaque individu pouvait présenter une image et sa légende. On travaille alors avec le professeur de français, pourquoi pas de chimie aussi lorsqu'on fait des développements, le prof d’histoire. En fait, on peut regrouper énormément de matières différentes pour ce travail.

Géraldine Coquet, comment vous est venue l’idée de faire intervenir un photojournaliste en classe ? Comment avez-vous fait venir Edouard Elias dans votre classe ?

Géraldine Coquet : Par la matière que j’enseigne, l’histoire-géographie et l’éducation morale et civique, de toute façon, on est amené à aborder l'Éducation aux médias et à l’information. On l’enseigne mais, à un moment, avec mes collègues, on s’est dit qu’il serait quand même intéressant d'en parler avec des professionnels qui font l’information eux-mêmes et qui vont pouvoir plus parler aux élèves. C’est bien aussi de se mettre en recul parfois quand on est professeur.

Concrètement, en 2020, on a reçu par notre établissement un appel à projets, “Journalistes en classe” : c’était un appel à projets du CLEMI qui nous proposait une subvention pour pouvoir rémunérer des journalistes qui interviennent dans nos classes. En remplissant cet appel, on explique notre projet. Après, si on est retenu, on entre en relation avec le référent CLEMI de l’académie qui va nous aiguiller vers un journaliste. Ce n'est pas nous qui cherchons le journaliste ; le journaliste est envoyé vers nous par rapport à notre demande et à nos besoins, ce qui est vraiment très facilitant.

Une fois qu’on a eu le contact d’Edouard Elias, on a échangé par mails puis par téléphone pour parler un petit peu des objectifs de sa venue, sur ce qu’il pouvait apporter car c’est un échange, c’est construit ensemble. Ça nous permettait effectivement d’être plus efficaces en amont. Il est reporter de guerre, il avait un emploi du temps assez short et il fallait être efficace.

Et quel a été le travail en amont de son intervention?

Géraldine Coquet : On a échangé avec Edouard et on s’est mis d’accord sur le fait qu'il ne fallait pas trop contextualiser : en effet, il venait avec un reportage photo sur les tranchées en Ukraine et on voulait le mettre en parallèle avec les tranchées de la Première Guerre mondiale. On a fait un travail sur ce qui nous permet de dater une photo, toute la question de la contextualisation. Donc il fallait que les élèves soient surpris et qu’ils n’aient pas trop contextualisé avant. Ils savaient qu’ils allaient rencontrer un journaliste, photographe de surcroît, mais ils ne savaient pas vraiment ce qu’ils allaient faire.

Concrètement, comment s’est déroulée la séance?

Géraldine Coquet : Ce qui était très pratique et facilitant, c’est qu’Edouard est venu avec beaucoup de matériel. Lui, il avait besoin d’un vidéoprojecteur et d’un câble HDMI pour mettre en place son ordinateur. Il est arrivé avec son expo sur les tranchées en Ukraine (photographies prises avant 2020). On a fait un parallèle entre les tranchées en Ukraine et les tranchées de la Première Guerre mondiale parce qu’il shoote en argentique et en noir et blanc donc, évidemment, comment savoir où on est, quand on est exactement, qui sont ces personnes. C’était compliqué et on avait besoin de son éclairage et puis ça permet de mettre en avant qu’une photo, sans contextualisation, on ne la comprend pas.

C’est à ce moment-là qu’il a discuté, de façon informelle, du métier et les élèves ont pu poser les questions qu'ils avaient en tête : qu'est-ce que c'est être photographe ? Comment on travaille ? Comment vous est venue cette vocation ? Combien gagnez-vous par mois ?

Après cette rencontre et la discussion sur l’Ukraine et la contextualisation, les élèves ont pu aller tester et tirer eux-mêmes des photographies qu’ils ont même gardées en souvenirs. On avait mis à disposition une petite salle, juste à côté de la salle où il intervenait. Là, il a mis en place un petit studio qu’il emmène avec lui pour faire des tirages à partir de ses photographies argentiques. Ce qui était intéressant et drôle dans l’expérience c’était de voir les élèves confrontés à l’argentique et à une pellicule photo, de voir leurs visages tout surpris de voir une pellicule et de se demander même, pour certains, ce que c’est. On est à l’ère du numérique et certains n’ont aucune idée de ce que c’est. Ce qui était drôle aussi c’était de voir leurs réactions dans la petite chambre noire qu’on avait montée et de voir aussi le révélateur qui permet d'enfin voir la photographie et d’entendre des expressions comme “Ah, c’est magique!”, “On ne se serait jamais douté mais comment ça se fait ?” Et Edouard de leur répondre : “Ce n’est pas magique, c’est chimique !” avec un petit clin d'œil en même temps au cours de physique-chimie.

Quel a été le travail après en classe ?

Géraldine Coquet : Au-delà du fait de pouvoir compléter une fiche métier sur le métier de photographe dans le cadre du parcours avenir, à côté de ça, cela nous a permis de rebondir sur le travail qu’on menait déjà avec les 3e, à partir du prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre qui permet en fait de contextualiser beaucoup de zones de conflits dans le monde et de se raccrocher au programme d’histoire avec les conflits contemporains et l’état du monde depuis 1989.

Edouard Elias, que souhaitez-vous transmettre aux élèves, grâce à ce type d’intervention ? Et que vous apportent les élèves ?

Edouard Elias : C’est extrêmement touchant d’avoir des gens qui s’intéressent aux sujets et qui les découvrent. Ce sont des gamins qui s’intéressent aux choses, qui sont éveillés, et ça les sort des cours habituels. Cela leur montre que photographe c’est un métier qui est très différent, qui est fait de façon presque artisanale, avec beaucoup d’improvisation, donc ça les ouvre à ça, aux mécaniques de la fabrication de l'image et du journalisme. Les élèves sont aujourd’hui toujours sur les réseaux sociaux, ils passent leur vie à voir des images d’actualité qui leur arrivent dans la figure sur leur petit téléphone portable et l’idée c’est au moins d’avoir des personnes qui peuvent leur dire comment se fabriquent ces images et comment faire attention à ces images. Aujourd’hui, le principal problème pour leur vie de citoyen dans le futur c’est l’accès à l’information et donc avoir des personnes qui réalisent cette information et qui sont capables de la mettre en perspective est très important.

Personnellement c’est extrêmement important de pouvoir partager des histoires que j’ai pu couvrir en direct avec des gens. C’est vraiment un échange, ça ne va pas seulement dans un seul sens. On est vraiment dans une construction mutuelle entre leurs besoins et ce que moi je peux leur apporter.

Et selon vous, Géraldine, cela a apporté quoi aux élèves ?

Géraldine Coquet : Cela leur a déjà apporté l’opportunité de rencontrer un photographe dont c’est le métier car, dans leur quotidien, ils n’ont pas tout le temps l’occasion d’en rencontrer, d’échanger avec des professionnels. Et puis à côté de ça, il y a les questions : comment on fait une information ? Comment on choisit sa photo ? Quand on fait une photo, qu’est-ce qu’on veut faire ressortir ? Le cadre est important, le rapport au sujet, à la personne qu’on va photographier, le respect des autres, la découverte aussi d’un contexte géopolitique comme l’Ukraine qu’ils ne connaissaient pas du tout.

Ce sont des moments importants de rencontre pour les élèves. J’ai des élèves qui, aujourd'hui, sont en Terminale et ils me parlent encore de ce moment où ils ont développé des photos. Ils se rappellent beaucoup du côté technique et justement de l’aspect “magique” du développement de l'argentique. Mais ce qui les fait raisonner aussi c’est l'Ukraine : Édouard est arrivé avec son reportage qui avait été fait en Ukraine avant les événements d'aujourd'hui. Il est venu en 2020. Evidemment, à l'époque, l’Ukraine on en parlait très peu. Les élèves ne savaient pas où situer le pays. Ils ont découvert où était l’Ukraine et que les conflits ce n’était pas si loin de chez eux. Ils ont conscience que ce sont des événements qui ne viennent pas de nulle part et, qu’il y a déjà deux ans, on les a alertés sur les conditions du conflit sur ces territoires.

Edouard Elias, que vous apportent ces rencontres avec des élèves dans votre pratique journalistique ?

Edouard Elias : C’est très important de ne pas rentrer dans un sujet en parlant tout de suite de la situation politique d’un pays. Il faut toujours reprendre tout dans son contexte ; cela m’apprend, même par la photographie, à faire des choses assez larges pour ensuite rentrer dans le sujet. C’est très important de garder ça à l'esprit, d’avoir le contexte, d'être capable de l’expliquer comme si on l’expliquait à des jeunes collégiens et des jeunes lycéens.

Quel conseil donner à un enseignant qui voudrait faire venir un journaliste en classe ?

Géraldine Coquet : Il ne faut pas hésiter à contacter le CLEMI. On a des personnes ressources. Moi la première, je me demandais comment faire entrer un photojournaliste dans ma classe, qui contacter. Ces personnes ressources sont là pour nous aider. En plus ils nous aiguillent vers des journalistes qui sont habitués, qui sont à l’écoute et avec qui on peut aussi échanger en amont pour un projet commun.

Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ? Qu’est-ce que cela vous a apporté dans votre métier d’enseignante ?

Géraldine Coquet : C’est un moment qui est très agréable. Se poser en retrait ça nous permet aussi d’observer nos élèves, de voir les moments d’attention, de voir comment ils réagissent face aux autres et puis de voir l’intérêt qu’ils peuvent avoir. Il faut oser demander des ressources parce qu’il y en a à disposition.

Et puis, cela m’a permis d'apprendre plein de choses sur le métier de photographe et de journaliste parce que, tout compte fait, on a envie de poser des questions, comme les élèves. Et d’en apprendre beaucoup sur un contexte. Je suis professeure d’histoire-géographie donc on se dit qu’on s’est documenté sur beaucoup de choses mais on a toujours à apprendre.

Cette expérience m'a aussi permis, dans mon quotidien, dans mon rapport à l'Éducation aux médias et à l’information d’avoir plus de connaissances : comment on fait une information ? Comment on la transmet ? Et de pouvoir expliciter aux classes plus jeunes et d’avoir aussi envie d’aller plus loin. Tout compte fait même si on apporte beaucoup d’informations, d’avoir ces professionnels qui nous montrent comment on fait ça peut aussi nous mettre la puce à l’oreille sur l’éclairage quotidien qu’on va devoir transmettre.

Propos recueillis par Valériane Gouban le 5 octobre 2022.

Merci à Céline Thiery d'avoir organisé cette très belle rencontre.

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